Interview de Charles Rozoy

(handisport)

En aoĂ»t dernier, le nageur Charles Rozoy a connu la consĂ©cration en remportant la mĂ©daille d’or du 100 m papillon aux Jeux Paralympiques de Londres. Il s’agissait aussi de la toute première mĂ©daille de la dĂ©lĂ©gation française lors de ces Jeux. Avec quelques mois de recul, il revient pour nous sur cette expĂ©rience.

Charles, tu es devenu champion paralympique du 100 m papillon aux Jeux Paralympiques de Londres en août dernier. Raconte-nous un peu comment tu as vécu cette finale de l’intérieur ?

Je l’ai vécue avec beaucoup de détachement. Je savais ce que j’avais à faire et je l’avais préparé pendant plusieurs années. Pendant les derniers mois, je m’étais vraiment entraîné à réaliser cette course. J’ai donc essayé de ne pas trop ressentir de choses et de ne pas mettre les sentiments en avant, car c’est quelque chose qui peut être perturbant. Il s’agissait de réaliser ma course, comme je l’avais appris. C’est ce que j’ai fait, du moins dans les 75 premiers mètres. Après, il fallait regarder où étaient les autres, les dépasser et se dépasser. Quand j’ai touché et que je suis enfin arrivé à voir que j’étais premier, toutes les émotions ont surgi. C’était alors l’Everest de l’émotion !

Tu n’étais donc pas trop stressé avant cette finale ?

Non. J’ai eu la chance de bien me mettre dans ma bulle. J’avais préparé ça à l’entraînement  et aussi avec un préparateur mental. Généralement, quand on a travaillé pendant des mois voire des années une course, qu’on sait comment on va la nager, qu’on a  fait tout ce qu’on avait à faire, on est sûr de soi. Avant la finale, je savais que je n’avais rien à regretter et c’était vraiment le plus important. J’ai fait ce qu’il fallait pendant la course et ça s’est très bien passé !

Tu as obtenu la première médaille de la délégation française lors de ces Jeux Paralympiques. Cela est-il une fierté particulière ?

D’un côté, c’était une très grande fierté. Mais une amie, Sandrine Aurières, combattait juste avant en judo et du coup, en même temps que j’apprenais que j’étais la première médaille, j’ai su qu’elle n’en avait pas eu. C’était assez déroutant : j’étais vraiment très content, mais je ne suis quand même pas un égoïste au point de vouloir absolument être la première médaille quitte à ce que les autres n’en aient pas. Ça m’a fait mal au cœur qu’elle n’ait pas cette médaille alors qu’elle la méritait et que c’est quelqu’un que j’aime bien. Mais oui, c’est très plaisant d’être le premier médaillé. On se rappelle beaucoup de la première et de la dernière médaille, et c’était fantastique par rapport à ça.

Mis à part cette médaille d’or en 100 m papillon, tu as atteint les finales du 50 m nage libre et du 200 m 4 nages. Cela a-t-il été difficile de disputer ces autres épreuves quelques jours seulement après avoir remporté une médaille d’or ?

Oui et non. On est préparé pour ça : on s’entraîne et on fait beaucoup de compétitions. Qu’on gagne ou qu’on perde, on a l’habitude de se remobiliser tout de suite. Mon souci, c’était que j’avais vraiment été éprouvé par cette course. Je pensais que je récupèrerais mieux physiquement. Derrière, ça a donc forcément été plus difficile. J’aurais aimé remporter au moins une médaille sur le 200 m 4 nages. Je n’ai pas eu ce que je voulais. Mentalement, j’avais réussi à me remettre dedans et à retrouver ma bulle, mais physiquement, j’étais bien atteint !

De façon plus générale, quels souvenirs gardes-tu de ces Jeux Paralympiques de Londres ?

Londres était grandiose, comme tous les Jeux je pense. Mais ce qui m’a vraiment marqué, c’est que les gens étaient ouverts au handicap. Il n’y avait pas de différence. Ça m’a vraiment fait plaisir car c’est un peu la vision des choses que j’ai, et la vision qu’un jour on aura en France même s’il faudra encore un peu de temps. Les gens venaient pour voir le sport. Ils ne venaient pas pour voir des handicapés en disant : « on va quand même aller les encourager ». Les stades étaient pleins et les spectateurs venaient de bon cœur puisqu’ils payaient pour ça. Les gens dans la rue nous prenaient pour des champions, et pas pour des champions différents. J’ai trouvé que c’était un moment exceptionnel de partage !

Les Jeux Paralympiques de Londres semblent être un tournant pour le handisport en France. Es-tu confiant dans une meilleure médiatisation du handisport ?

Concernant la médiatisation, il ne faut pas oublier que c’est certes mieux qu’à Pékin, mais qu’on est encore ridicule par rapport à de nombreux pays d’Europe. De nombreux Français ont dit que c’était exceptionnel et que c’était beaucoup plus médiatisé, mais beaucoup nous expliquent aussi qu’ils n’ont rien vu et qu’ils auraient aimé voir les compétitions. Je pense que nous, athlètes paralympiques, devons continuer à communiquer. Il faut donner des choses aux medias pour qu’ils en parlent et il faut que le petit bonhomme de chemin se fasse dans les esprits. Beaucoup de personnes ont apprécié ces Jeux et aimeraient en avoir plus donc je me dis que ça peut évoluer. Mais il ne faut pas oublier qu’on est en retard et qu’il faut que les mentalités en général sur le handicap évoluent.

Avant l’accident de moto qui t’a paralysé le bras gauche en 2008, tu étais déjà nageur de haut niveau. Cela a-t-il été une évidence pour toi de te lancer dans la natation handisport suite à cet accident ?

Non, ce n’était pas une évidence. Dans un premier temps, j’étais accidenté et il fallait se faire opérer. Les réparations ont été longues. Ensuite, il a fallu me rééduquer et accepter le fait que ce ne soit plus jamais comme avant. Après, ce sont des déclics qui ont fait que je suis retourné à la natation.

Quand j’ai eu mon accident, je me suis tout de suite dit que certaines grandes personnes comme Alexander Popov avaient eu des accidents graves en dehors du sport et qu’ils étaient revenus aussi forts. Donc pourquoi pas moi ? Mais quand j’ai su que je ne rebougerais plus le bras comme avant et que je ne pourrais plus nager avec mes deux bras, c’était pour moi le monde qui s’écroulait. Il a fallu des déclics, comme des petits jeunes qui se sont moqués de moi à la piscine en disant : « Rozoy, il est foutu ». J’ai répondu : « On va voir si je suis foutu, on va faire une course et je vais vous mettre une tôle ! ».

C’est quand même une démarche qui a été assez longue. J’ai mis de juillet à janvier avant de me remettre dans l’eau pour la rééducation et il a ensuite fallu qu’il y ait ce défi-là pour me dire que j’allais faire du handisport.

En octobre 2009, soit à peine un an après ton accident, tu es devenu champion d’Europe du 100 m papillon. T’imaginais-tu avoir autant de succès dans le handisport aussi rapidement ?

Il ne faut pas oublier que j’étais déjà nageur de haut niveau avant. J’avais un bon niveau national. J’étais alors capable de faire des choses formidables à l’entraînement mais je n’arrivais pas à me dépasser le jour de la compétition. Je ne suis donc pas devenu champion du jour au lendemain. Si je n’avais pas déjà été un ancien nageur de très bon niveau, je pense que ça ne se serait pas passé comme ça dans le handisport. J’avais quand même nagé trente heures par semaine pendant cinq ans ! Il y avait un vécu ! Donc je ne m’y attendais pas, mais quand j’ai vu que j’avais la rage et l’envie de tout casser, je me suis alors dit que je pouvais gagner.

Quels sont tes prochains objectifs ? As-tu déjà en tête les Jeux Paralympiques de Rio en 2016 ?

Juste après les Jeux, j’ai pris un peu soin de moi et de mon entourage. Je me suis reposé. J’ai aussi partagé cette médaille, notamment en allant voir des jeunes. Ayant désormais cette médaille, j’ai envie de la partager et que les gens soient fiers des médaillés français.

Maintenant, je suis bien sûr en train de reprendre ma carrière. Les Championnats de France arrivent en février et vont permettre de voir où j’en suis. En août, il y aura les Championnats du monde à Montréal. J’y pense mais il faut d’abord s’entraîner correctement pour pouvoir faire quelque chose d’exceptionnel là-bas. Ensuite, bien sûr qu’il y a les Jeux de Rio. Je les envisage, mais il faut avoir les budgets pour y aller. En handisport, ce n’est pas gagné d’avance : quand on arrive à boucler l’année, c’est déjà pas mal !

Merci beaucoup Charles pour ta disponibilité et bonne chance pour la suite de ta carrière !

Crédits photos : AFP (photo 2) et G. Picout (photo 3)

La carrière de Charles Rozoy en quelques lignes :

Charles Rozoy commence sa carrière chez les valides et atteint un bon niveau national. En juillet 2008, un accident de moto lui rend le bras gauche paralysé. Il se lance alors dans le handisport.

En octobre 2009, il dispute sa première compétition internationale et devient champion d’Europe du 100 m papillon en grand bassin. Deux mois plus tard, il prend l’or du 100 m papillon ainsi que le bronze sur 50 et 100 m nage libre des Championnats du monde en petit bassin. Il bat alors le record du monde du 100 m papillon. En 2010, lors des Championnats du monde en grand bassin, il obtient le bronze sur 100 m papillon et 4*50 m nage libre.

En 2012, il participe aux Jeux Paralympiques de Londres. Il y remporte la médaille d’or du 100 m papillon (catégorie S8). Il s’agit de la première médaille de la délégation française lors de ces Jeux. A Londres, il atteint aussi les finales du 50 m nage libre et du 200 m 4 nages. Aujourd’hui âgé de 25 ans, Charles Rozoy vise désormais les Championnats du monde qui se disputeront en août prochain.

Pour en savoir plus sur Charles, visitez son site officiel : www.charles-rozoy.com

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