Interview d’Anthony Chalençon
(handisport)

Après une première participation aux Jeux Paralympiques de Vancouver 2010 en ski alpin, Anthony Chalençon a dĂ©cidĂ© de passer au ski de fond et au biathlon avec succès. MĂ©daillĂ© d’or et de bronze aux Jeux de Pyeongchang 2018, il a rĂ©cidivĂ© aux Jeux de PĂ©kin l’annĂ©e dernière avec une mĂ©daille d’argent. Entretien.

Anthony, vous avez participĂ© Ă  vos premiers Jeux Paralympiques en 2010 Ă  Vancouver. Quels souvenirs gardez-vous de ces premiers Jeux Paralympiques, que vous avez disputĂ©s en ski alpin ?

J’y ai découvert les Jeux, notamment l’organisation et le Village Olympique. La cérémonie d’ouverture a eu lieu dans un grand stade couvert. Sur le plan sportif, j’ai un peu moins de souvenirs car je n’étais pas au niveau à l’époque. Ce n’était pas très enrichissant sportivement, mais ça m’a permis de participer à des grandes courses avec de la pression.

Vous avez ensuite changé de discipline pour faire du ski de fond et du biathlon. Pouvez-vous nous raconter les raisons de ce changement ?

J’ai choisi de changer de discipline parce que je n’avais pas les rĂ©sultats que j’attendais en ski alpin. Cette discipline n’était pas vraiment compatible avec mon handicap (Anthony est non-voyant suite Ă  une dĂ©gĂ©nĂ©rescence rĂ©tinienne, ndlr). C’est compliquĂ© de skier vite et de passer entre les portes quand on ne voit rien ! Il y avait toujours un moment oĂą il se passait quelque chose qui faisait que je ne finissais pas la course. Les rĂ©sultats ne me plaisaient pas et n’étaient pas Ă  la hauteur de mon investissement.

Lors de ma dernière annĂ©e d’alpin, Ă  l’intersaison, l’équipe de ski alpin et l’équipe de ski de fond avons effectuĂ© des tests physiques ensemble. J’ai alors pu rencontrer les coaches du ski fond. Comme j’avais de bonnes qualitĂ©s d’endurance, ils me disaient souvent : « un jour, tu finiras avec nous ! Â».

Quand j’ai dĂ©cidĂ© d’arrĂŞter le ski alpin en 2011, l’annĂ©e après les Jeux de Vancouver, j’ai voulu faire un essai avec les fondeurs. Cela s’est bien passĂ©. Il a ensuite fallu des annĂ©es de travail pour atteindre un niveau qui me permette de prendre le dĂ©part d’une Coupe du monde. J’ai travaillĂ© plus ou moins tout seul pendant trois ans. Et en 2014, j’ai participĂ© Ă  ma première Ă©preuve de Coupe du monde !

« Je m’étais donné comme objectif de tirer à 20/20 et je me suis concentré là-dessus »

Lors des Jeux Paralympiques de Pyeongchang 2018, vous avez remportĂ© la mĂ©daille d’or du relais en ski de fond ainsi que la mĂ©daille de bronze du 15 km en biathlon. A l’époque, ces deux mĂ©dailles Ă©taient-elles des objectifs clairs en arrivant aux Jeux ou bien des bonnes surprises ?

Dans le cas du relais de ski de fond, on Ă©tait doubles champions du monde en titre. On visait donc clairement l’or et on Ă©tait favoris pour cette course. C’est une position qui n’était pas facile Ă  assumer, surtout que la course avait lieu le dernier jour des Jeux. Mais tout s’est bien dĂ©roulĂ©. On avait une Ă©quipe très forte et on a su prouver ce jour-lĂ  qu’on Ă©tait les meilleurs. Une victoire collective apporte toujours un petit piment en plus !

Dans le cas du 15 km de biathlon, j’avais ciblĂ© cette course. Je savais que c’était le format oĂą j’avais le plus de chances de briller. Mais ma saison avait Ă©tĂ© compliquĂ©e en tir et je suis arrivĂ© Ă  Pyeongchang sans aucune certitude. Au fur et Ă  mesure des Jeux, je me suis retapĂ© mentalement et ça a finalement Ă©tĂ© une bonne surprise. Je ne pensais pas que je serais capable de tirer Ă  20/20 ce jour-lĂ  et d’aller ainsi chercher cette mĂ©daille de bronze !

Pouvez-vous nous raconter comment vous avez vécu de l’intérieur cette course du 15 km de biathlon, qui a abouti à cette médaille de bronze ?

C’était une journĂ©e assez spĂ©ciale. J’ai eu un bon lâcher-prise avant la course et je me suis coupĂ© de tous les enjeux. Je me suis isolĂ©. Le staff a aussi dĂ©cidĂ© de me laisser dans ma bulle ce jour-lĂ  et je n’ai donc presque vu  personne ! Et quasiment personne ne m’a parlĂ© sur la piste. Ça a bien marchĂ© !

Je m’étais donnĂ© comme objectif de tirer Ă  20/20 et je me suis concentrĂ© lĂ -dessus, au lieu de penser Ă  l’enjeu de la mĂ©daille. J’ai pris mon temps pour tirer. Je me rappelle aussi d’une course dure sur les skis. J’étais rapide sur la piste, mais j’étais Ă©puisĂ© Ă  chaque fois que j’arrivais au tir !

Lors du dernier tir, je me suis doutĂ© que je jouais une mĂ©daille. J’ai mis beaucoup de temps Ă  lâcher mon avant-dernière balle, mais je l’ai mise. Paradoxalement, c’était plus simple pour moi de tirer ma dernière balle. Je me suis dit qu’il fallait que j’appuie dès que j’étais dans le son (les athlètes non-voyants ont une carabine laser qui fait un bruit spĂ©cial quand le viseur est dans la cible, ndlr) car sinon, je n’aurais jamais le courage de lâcher ma balle ! Ma dernière balle est aussi rentrĂ©e. J’ai ensuite tout donnĂ© sur le dernier tour car j’étais Ă  la bagarre pour la mĂ©daille.

Lors des Jeux Paralympiques de Pékin 2022, vous avez remporté la médaille d’argent du relais en ski de fond, en ayant effectué deux relais dans la course. On imagine que réaliser deux relais à un tel niveau a été un vrai challenge ?

Ça a été très dur. On l’avait déjà fait auparavant et on le fait encore aujourd’hui. On n’a pas le choix car on n’est que deux athlètes avec Benjamin Daviet (chacun effectue deux relais sur les quatre, ndlr). Quand on était quatre athlètes dans l’équipe, on jouait l’or. Mais maintenant que l’on n’est plus que deux, on plafonne. On a notamment fini à la quatrième place des Championnats du monde cette année.

Cela fait un gros effort de six minutes, une pause de six minutes, puis de nouveau un gros effort de six minutes. Il faut réussir à garder des forces lors du premier relais et il faut vraiment serrer les dents sur le deuxième. En général, la première bosse de mon deuxième relais se passe bien, puis la fatigue me tombe dessus et c’est vraiment dur de finir la course.

Lors du relais des Jeux de PĂ©kin, j’ai explosĂ© sur mon deuxième passage. Je crois que j’ai mis une minute de plus que sur mon premier relais. Les conditions Ă  PĂ©kin Ă©taient très dures, avec l’altitude et l’air très sec. Je suis allĂ© au bout de moi-mĂŞme sur cette course. Mais je suis fier d’être allĂ© chercher cette mĂ©daille !

« C’était à des années lumières de ma conception du sport et de ce que doivent être les Jeux Paralympiques »

Vous avez participĂ© Ă  trois Ă©ditions des Jeux Paralympiques : Vancouver 2010, Pyeongchang 2018 et PĂ©kin 2022. Quelle est l’édition qui vous a le plus marquĂ© ?

En termes d’organisation, je trouve que les Jeux de Vancouver étaient vraiment sympa. C’était dans un pays de sport d’hiver, le Canada, et dans une belle station, Whistler Mountain.

Mais à vivre en tant qu’athlète, je dirais ceux de Pyeongchang. Certes, c’était dans un lieu qui ne faisait pas rêver les passionnés de sports d’hiver, mais j’ai pu me battre pour les médailles.

Par contre, les Jeux de Pékin ont vraiment été les pires. Ils étaient très aseptisés à cause du covid-19. On avait des tests tous les jours et on mangeait dans des casiers… C’était à des années lumières de ma conception du sport et de ce que doivent être les Jeux Paralympiques. Je pense qu’ils auraient mieux faire de ne pas les faire.

Vous ĂŞtes non-voyant. Pouvez-vous nous parler du rĂ´le primordial du guide pendant la course ?

Mon guide skie entre trois et cinq mètres devant moi. Il a un haut-parleur dans le dos et il parle tout le temps, car il faut que je puisse suivre le point du haut-parleur. Par exemple, quand j’entends que le son du haut-parleur part Ă  droite, je règle mon virage pour le suivre. Le guide a pour rĂ´le de dĂ©crire la piste : « virage Ă  gauche Â», « virage Ă  droite Â», « montĂ©e Â», « descente Â»… Il me dit aussi quel pas de ski de fond je dois utiliser et quand je dois relancer fort. Il va m’encourager quand c’est dur et qu’il faut serrer les dents. Il me calme aussi parfois avant le tir. Je suis en quelque sorte le moteur et il est le pilote. De mon cĂ´tĂ©, je lui dis aussi quand je me sens moins bien et que j’ai besoin qu’il ralentisse, ou au contraire quand on peut accĂ©lĂ©rer. Cela reste un sport d’équipe car on passe beaucoup de temps ensemble, que ce soit pour les stages ou les compĂ©titions. Il faut bien s’entendre et avoir de la complicitĂ© !

Quels sont vos prochains objectifs ? Pensez-vous dĂ©jĂ  aux Jeux Paralympiques de Milan 2026 ?

Mon prochain objectif, ce sont les Championnats du monde de biathlon qui auront lieu au Canada en mars 2024. Je veux y remporter une médaille.

Je pense aux Jeux de Milan, mais c’est dans trois ans. Je sais qu’il peut se passer beaucoup de choses d’ici lĂ . Avec l’expĂ©rience, je sais qu’il ne faut pas trop faire de prĂ©visions. Après les Jeux de PĂ©kin, j’ai dĂ©cidĂ© de prendre annĂ©e après annĂ©e, et de voir en fonction de mon envie, de mon corps et ma vie autour, notamment familiale. En tout cas, je prends toujours du plaisir et c’est sĂ»r que j’aimerais beaucoup participer aux Jeux de Milan 2026 !

Merci beaucoup Anthony pour votre disponibilité et bonne chance pour cette nouvelle saison !

La carrière d’Anthony Chalençon en quelques lignes :

Anthony Chalençon est malvoyant et débute sa carrière en ski alpin. Il participe aux Jeux Paralympiques de Vancouver 2010. Il décide ensuite de changer de discipline et de concourir en ski de fond et en biathlon.

Il devient champion du monde de relais en 2015 et en 2017, et médaillé de bronze du sprint de biathlon en 2017. Lors des Jeux Paralympiques de Pyeongchang 2018, il remporte la médaille d’or du relais en ski de fond (avec Benjamin Daviet et Thomas Clarion) et la médaille de bronze du 15 km en biathlon. Aux Championnats du monde, il obtient une médaille d’argent (relais ski de fond) et deux médailles de bronze (12,5 km biathlon et moyenne distance ski de fond) en 2019 et une médaille d’argent (relais ski de fond) en 2022.

Lors des Jeux Paralympiques de Pékin 2022, il décroche la médaille d’argent du relais en ski de fond (avec Benjamin Daviet). En 2023, il est vice-champion du monde sur le 12,5 km biathlon. Aujourd’hui âgé de 33 ans, Anthony Chalençon vise les Championnats du monde de biathlon qui auront lieu en mars 2024.

drapeau olympique Participations aux Jeux Paralympiques de Vancouver 2010, Pyeongchang 2018 et PĂ©kin 2022

medaille MĂ©daillĂ© d’or aux Jeux Paralympiques de Pyeongchang 2018 (relais 4×2,5 km ski de fond)

medaille MĂ©daillĂ© d’argent aux Jeux Paralympiques de PĂ©kin 2022 (relais 4×2,5 km ski de fond)

medaille Médaillé de bronze aux Jeux Paralympiques de Pyeongchang 2018 (15 km biathlon)

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