Interview de Cyril Moré

(handisport)

Avec cinq mĂ©dailles d’or aux Jeux Paralympiques, Cyril MorĂ© est l’un des plus grands champions du handisport français. Il a la particularitĂ© de pratiquer deux sports Ă  haut niveau, l’escrime et le ski, ce qui l’a amenĂ© Ă  disputer quatre fois les Jeux Paralympiques d’Ă©tĂ© et deux fois les Jeux Paralympiques d’hiver. Les derniers avaient lieu Ă  Vancouver en mars dernier, et il y a pris la quatrième place du gĂ©ant. Entretien.

Cyril, tu as remporté sept médailles dont cinq d’or en escrime aux Jeux Paralympiques depuis ta première participation, en 1996. Parmi toutes ces médailles, quelle est celle qui compte le plus pour toi ?

« Dans le tas, il y en a une qui a une saveur particulière : c’est la médaille d’or en épée individuelle à Athènes (en 2004, ndlr). Pourquoi la saveur particulière ? Déjà parce que c’est ma seule médaille d’or en individuel, et aussi parce que j’étais attendu au sabre et que c’est à l’épée que j’ai fait ma performance, un peu à la surprise générale. Quand ça arrive, il y a un petit truc en plus qui se passe. Il y a un petit goût de revanche qui permet de dire : « voilà, je l’ai fait, je suis allé au bout », d’autant plus quand on n’est pas attendu. »

Tu es devenu paraplégique en 1992 à la suite d’un accident de ski. Pratiquais-tu déjà l’escrime avant cet accident ?

« Non, pas du tout. J’ai découvert tout ça après ! »

Et dans quelles conditions as-tu commencé ce sport, du coup ?

« J’ai donc eu mon accident. Ensuite, j’ai été amené à faire ma rééducation pour découvrir ce qu’est le travail d’une personne en fauteuil, et à cette occasion, je faisais plein de sports : tous les sports qu’on me proposait, que ce soit la natation, le ping-pong, le basket, le tir à l’arc… Et dans un centre de rééducation dans lequel je suis passé, on m’a proposé de faire de l’escrime, parce que c’était une des spécialités un peu originale qu’il y avait là-bas. Ca m’a bien plu.

Ce qui m’a plu, c’était déjà de découvrir un sport nouveau, un sport de combat, et c’est un sport qui mêlait la concentration, la rigueur. Il y avait tout un cérémonial que je ne connaissais pas et que je trouvais intéressant. »

Malgré ton très beau palmarès, tu n’as pas remporté de médaille lors des derniers Jeux Paralympiques d’été, en 2008 à Pékin. Comment as-tu vécu cela ?

« En fait, on pourrait appeler cela « la chronique d’un mauvais résultat annoncé ». Tout s’est plutôt mal goupillé sur Pékin.

J’étais double champion en titre à Athènes, et on apprend que pour les Jeux de Pékin, il n’y aura plus d’épreuve par équipe. Or, j’ai remporté beaucoup d’épreuves par équipe et on a tous subi une limitation à ce niveau-là. Et puis après, comble de la malchance, on a eu des nouveaux critères de sélection qui étaient plus durs que d’habitude, et je n’ai pas réussi à me sélectionner à l’épée. Je n’ai donc pas pu défendre mon titre. Je n’avais plus que le sabre pour me faire plaisir en individuel, et pour couronner le tout, la compétition de sabre avait lieu le dernier jour des Jeux ! C’est assez pénible d’être aux Jeux, de voir tout le monde gagner ou perdre, et d’attendre le dernier jour. Pour la petite anecdote, j’ai passé quinze jours à Pékin et j’ai fait mes bagages avant de faire ma compétition. Dans notre organisation, il a fallu qu’on prépare nos bagages avant le dernier jour, et donc avant ma compétition.

Bon, tout le monde a plutôt subi ça, je n’étais pas le seul, mais en tout cas le scénario était mauvais dès le départ. Je n’ai pas réussi à aller contre ça et du coup forcément, je n’ai pas d’images très positives de Pékin. »

En plus d’être un grand champion d’escrime, tu pratiques aussi le ski à haut niveau. N’est-ce pas difficile d’allier l’entraînement pour des sports aussi différents que l’escrime et le ski ? Comment t’organises-tu ?

« Déjà, qu’en est-il de l’entraînement ? C’est vrai que ça ne simplifie pas la tache d’être actif dans deux sports. Moi, en l’occurrence, je bénéficie d’un mi-temps donc ça me facilite un peu le travail. J’ai aussi la possibilité de mettre un peu une sorte de saisonnalité dans ma pratique. En fait, il y a des temps forts : l’hiver, je suis plus au ski, et le reste du temps, je suis plus à l’escrime. Il y a huit mois de l’année où on ne pratique pas de ski et j’y trouve un avantage dans la mesure où je me mets en mode « sportif de haut niveau » toute l’année. J’ai régulièrement des compétitions, je me remets en cause, j’ai une activité qui est assez intéressante et qui permet d’être à haut niveau sur les deux sports.

Après, quand tu disais que ce sont deux sports totalement diffĂ©rents, j’ai envie de mettre un bĂ©mol. Effectivement, c’est diffĂ©rent, mais Ă  bien y regarder, il y a Ă©normĂ©ment de points communs. Ces points communs permettent de trouver des axes qui aident au dĂ©veloppement des deux sports. On a deux sports de concentration, deux sports oĂą le matĂ©riel est important, oĂą la prĂ©paration par rapport Ă  l’adversaire ou Ă  la piste doit se faire très correctement et en amont… On a deux sports très techniques, oĂą on doit dĂ©velopper des reflexes et oĂą les choix doivent s’opĂ©rer en quelques centièmes de secondes… Tous ces parallèles font que mĂŞme si ce sont des sports diffĂ©rents, je trouve une certaine homogĂ©nĂ©itĂ© Ă  les pratiquer en mĂŞme temps ! »

Es-tu satisfait de tes Jeux Paralympiques de Vancouver, disputés en mars dernier, où tu as notamment terminé quatrième du géant et sixième du super combiné ?

« J’ai écrit sur mon site que j’étais très satisfait, d’autant plus que je ne me suis pas sélectionné facilement car j’étais quasiment le dernier à l’être chez les Français dans ma catégorie, la catégorie fauteuil. Et aux Jeux, c’est moi qui ai fait les meilleurs résultats en fauteuil.

Alors bien sûr, il n’y a pas la médaille étant donné que j’ai fini à la quatrième place en géant, mais je me suis vraiment rapproché du top. Quand on regarde bien, ce qui s’est passé aux Jeux était assez génial car j’y ai fait les meilleures courses de ma carrière. Pour un sportif, on ne peut pas rêver mieux, c’est l’endroit idéal ! Quand tu te lâches, autant que ce soit aux Jeux et pas en Coupe de France ou en Championnats de France ! J’ai vraiment eu un feeling, un déclic aussi s’est vraisemblablement passé aux Jeux, et je ne peux donc être que content. Alors après, ça m’a fait me rapprocher du podium de façon pharamineuse, sur une épreuve du géant qui n’était pas mon épreuve de prédilection… Donc forcément, on se dit que ça aurait été possible !

D’autant plus que j’étais septième de la première manche de gĂ©ant… Je fais ma deuxième manche en Ă©tant gonflĂ© Ă  bloc : je vois mon collègue partir, et comme il y va fort, je suis impressionnĂ© et je me dis que pour faire quelque chose, il faut que je fasse comme lui. Je me mets dans cette dynamique-lĂ  et pendant la descente, je me rends compte que ça se passe bien, je sens que je suis relâchĂ©, que je peux mettre plus de vitesse… J’arrive en bas en me disant : « pourvu que je sois le premier », et je vois que j’ai le meilleur temps, donc forcĂ©ment, c’est Ă©norme ! Il y a dĂ©jĂ  des clients qui sont passĂ©s et en plus, mon collègue français me dit : « tu as tout dĂ©chiré ». Après, je vois le sixième, le cinquième, le quatrième qui passent et qui sont derrière moi… Ce n’étaient que des personnes que je regardais avant la course en me disant que j’avais des costauds autour de moi ! Et en fait, ce qui s’est passĂ© ce jour-lĂ , c’est que le quatrième passe (il est derrière moi), et lĂ  il y a une interruption de course. Moi, Ă  ce moment-lĂ , je suis premier. Il y a la tĂ©lĂ©, je sais que j’ai fait mon travail et que j’ai juste Ă  profiter du moment parce que quelque part, je n’ai rien d’autre Ă  faire. Je profite pendant vingt minutes d’une interruption de course oĂą je suis leader, pendant que les trois derniers Ă  s’élancer attendent lĂ -haut. L’histoire fera qu’ils vont partir dans des conditions dantesques et qu’ils me passent tous devant, notamment le Japonais Ă  pas grand chose, mais j’avais dĂ©jĂ  fait quelque chose d’énorme. Ca ne s’est pas fait, tant pis, mais en tout cas je suis très content de ce que j’ai rĂ©ussi ! »

Tu as pour l’instant participé à quatre éditions des Jeux d’été et à deux éditions des Jeux d’hiver. Quelle est l’édition qui t’a le plus marqué ?

« J’ai un gros souvenir de la cérémonie d’ouverture de Sydney. J’étais un peu malade, c’étaient mes deuxièmes Jeux, j’ai commencé en étant un peu blasé, et j’ai été happé par le public et la cérémonie d’ouverture ! C’est quelque chose qui a été vraiment très fort ! Ensuite, il y a Athènes et les médailles d’or qui résonnent, et puis Pékin qui est un peu en dessous de tout au niveau sportif. A côté de cela, il y a Vancouver, où l’organisation a été vraiment pas mal. Malgré le mauvais temps, on a pu se sentir à l’aise, notamment avec le public. Ma chérie était là, on pouvait se retrouver de temps en temps et elle m’encourageait… J’ai vraiment senti plus de proximité par exemple sur Vancouver ! »

As-tu atteint tous tes objectifs de sportif de haut niveau ?

« En participant à deux sports à très haut niveau, en étant sur toutes les disciplines en ski et sur deux disciplines en escrime, il y a forcément des manques. Tu t’aperçois que tu en voudrais toujours plus…

Par exemple, alors que je suis attendu en slalom, je fais des performances en gĂ©ant, j’aurais donc aimĂ© faire plus en gĂ©ant. Je me suis aperçu qu’en vitesse, j’étais vraiment très prĂ©sent aux JO de Vancouver… En escrime, je n’ai jamais Ă©tĂ© champion paralympique de sabre alors que c’était un peu « le titre qui devait m’arriver », mĂŞme si ce n’est jamais facile.

Forcément, il y a plein d’endroits où je pourrais chercher à faire mieux, mais il y a le temps qui passe, la fatigue, et parfois l’envie de passer à autre chose. Je sais d’avance qu’il y a des titres qui vont me manquer, mais ce n’est pas ça le plus important. »

Tu as actuellement 37 ans. Jusqu’à quand penses-tu continuer la compétition à haut niveau ? Vises-tu les JO de Londres en 2012 et ceux de Sotchi en 2014 ?

« Je ne sais pas trop. Je n’ai pas pris ma retraite, ça, c’est sûr, même si j’ai fait un petit break en escrime. En ski, il y a les Championnats du monde en janvier à Sestrières et là, je vais être de la partie. Après, je risque effectivement de rebondir sur le projet Londres, même si c’est un peu à contre cœur parce que j’étais sur le projet Paris 2012, et aussi parce que plus ça va et plus je galère. Ce sont des challenges qui deviennent de plus en plus costaud.

Après, Sotchi 2014, c’est loin… Pourquoi pas, mais je ne sais pas encore. En tout cas, ce qui est clair, c’est que je n’ai pas encore raccroché, l’amour du sport est là ! »

Merci beaucoup Cyril pour ta grande gentillesse et ta disponibilité !

La carrière de Cyril Moré en quelques lignes :

Devenu paraplégique en 1992 suite à un accident de ski, Cyril Moré découvre ensuite l’escrime handisport et est sélectionné pour la première fois de sa carrière aux Jeux Paralympiques d’Atlanta, en 1996, où il remporte la médaille d’or au sabre par équipe.

En 2000, lors des Jeux Paralympiques de Sydney, il se distingue avec deux médailles d’or (en épée et en sabre par équipe), et une d’argent (au sabre, en individuel). Quatre ans plus tard, à Athènes, il devient Champion paralympique d’épée en individuel et en équipe, et prend la médaille de bronze au sabre par équipe. De nouveau présent lors des Jeux Paralympiques de Pékin en 2008, il n’ajoute malheureusement pas de médaille à son palmarès impressionnant.

En parallèle de l’escrime, Cyril Moré pratique aussi le ski et découvre les Jeux Paralympiques d’hiver à Turin, en 2006. Il y atteint la 13e place du slalom. En février dernier, il participe aux Jeux Paralympiques de Vancouver, où il termine notamment 4e du géant et 6e du super combiné.

Pour en savoir plus sur Cyril, visitez son site officiel : cyrilmore.com

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