Interview de Damien Seguin

(voile, handisport)

Porte-drapeau de la délégation française aux Jeux Paralympiques de Londres en 2012, le skipper Damien Seguin a remporté deux médailles d’or aux Jeux d’Athènes 2004 et de Rio 2016 ainsi qu’une médaille d’argent aux Jeux de Pékin 2008. Il concoure également en course au large chez les valides et sera au départ du Vendée Globe en 2020. Il revient pour nous sur ce parcours qui force le respect.

Damien, quel regard portez-vous sur votre année 2019, au cours de laquelle vous avez notamment remporté le titre mondial en voile handisport et pris la quatorzième place de la Transat Jacques Vabre ?

2019 est une bonne année. Sur la partie paralympique, elle vient confirmer que j’arrive à rester au top de la discipline avec un cinquième titre de champion du monde, ce qui n’est pas anodin. Ça montre que je suis toujours bien investi sur le support et que le petit bateau me convient toujours autant. Sur la partie course au large, avec cette Transat Jacques Vabre, cette année 2019 était une préparation du Vendée Globe qui aura lieu en 2020. L’année a été plutôt réussie. Ça m’a permis de prendre confiance dans le bateau et de faire l’ensemble des qualifications en vue du Vendée Globe. Même si la quatorzième place sur la Transat Jacques Vabre est un peu décevante au niveau comptable, on a fait une belle course, notamment sur la première moitié. C’est plutôt encourageant pour la suite.

Vous allez participer au Vendée Globe en 2020. On imagine que participer à cette course mythique est pour vous un rêve qui va se réaliser ?

Tous les marins songent un jour ou l’autre à pouvoir participer à cette superbe course. Pour les marins, le Vendée Globe est un peu comme l’Everest pour les alpinistes. C’est notre Graal. Il faut se sentir prêt et il faut aussi avoir le partenaire qui nous suit sur cette aventure. Aujourd’hui, je pense que j’ai réussi à réunir les deux aspects. Je sais que j’ai le bateau et la préparation pour réussir ce challenge. J’ai vraiment hâte d’être au 8 novembre 2020, le départ de ce Vendée Globe, et faire ce tour du monde.

Le Vendée Globe est une course très éprouvante avec notamment beaucoup de solitude. Comment vous préparez-vous pour un tel défi ?

La préparation au Vendée Globe n’est pas quelque chose de facile. On va être environ 90 jours en solitaire sur le bateau. Ce n’est pas un exercice qu’on a l’habitude de faire. On a plutôt l’habitude de faire des transatlantiques qui durent autour d’une quinzaine de jours. C’est un exercice autour de la planète complètement différent. Ça va être une première pour moi. Ça nécessite une préparation bien calibrée, tant au niveau du matériel qu’on embarque sur le bateau qu’au niveau psychologique. Je me suis rapproché de skippers qui ont l’expérience de cette course, de façon à savoir un peu comment l’aborder. J’essaie aussi de maitriser au mieux la machine techniquement. Sans avoir l’obligation d’être un expert dans tous les domaines qui touchent au bateau, notamment la mécanique et l’électronique, il faut quand même être bon partout pour pouvoir faire 90 jours en solitaire. C’est un apprentissage que je fais au quotidien. Aujourd’hui, j’ai plutôt l’impression d’être sur la bonne voie pour réussir ce challenge.

Bien que vous êtes né sans main gauche, vous concourrez en course au large contre des valides. Comment arrivez-vous à compenser votre handicap ?

Avec mon handicap, l’absence de main gauche, c’est sûr que je dois m’adapter afin de faire la même chose que les autres skippers font avec deux mains. Mais c’est un handicap qui est suffisamment léger pour ne pas nécessiter trop d’adaptations physiques sur le bateau. C’est plutôt moi qui m’adapte aux types de manœuvres. J’ai aussi l’habitude. Je suis né avec ce handicap. Ça fait 40 ans que je vis avec et 25 ans que je fais de la voile avec.

Sur un Imoca (bateau du Vendée Globe qui fait 18,28 mètres de long), les efforts physiques sont assez intenses et on a mis au point un système de manchons que j’utilise sur les manivelles de winch pour pouvoir utiliser la puissance que j’ai sur mes deux bras. C’est quelque chose qui était nécessaire sur le bateau. Le reste du bateau est le même que pour les autres participants du Vendée Globe.

Aux Jeux Paralympiques, vous avez remporté l’or en 2004 à Athènes et en 2016 à Rio ainsi que l’argent en 2008 à Pékin. Quelle est la médaille qui a été la plus difficile à remporter selon vous ?

Les médailles sont toutes difficiles à remporter. Quel que soit le métal, c’est compliqué. Elles sont toutes différentes. Ma première médaille d’or sur mes premiers Jeux en 2004 était particulière parce que j’avais 24 ans et que j’étais outsider. Décrocher cette médaille d’or pour ma première participation, c’était énorme ! Ma médaille d’argent à Pékin quatre ans après était une superbe victoire pour moi car je suis revenu de loin. La course était mal engagée et je suis arrivé le dernier jour à monter sur le podium. Ma médaille d’or à Rio avait une saveur particulière aussi parce que c’était énormément de travail. C’est déjà difficile d’arriver au haut niveau, mais s’y maintenir est encore plus difficile. J’avais vraiment mis tous les moyens pour faire une dernière grosse performance. J’ai réussi ma sortie en gagnant cette médaille d’or. Elles sont toutes très belles. Je suis très fier du parcours que j’ai réalisé et j’aurais du mal à ressortir une de ces trois médailles.

Vous étiez le porte-drapeau de la délégation française lors des Jeux Paralympiques de Londres en 2012. Racontez-nous comment vous avez vécu ce rôle de l’intérieur ?

Etre porte-drapeau et capitaine de l’équipe de France était un moment magique. C’était la reconnaissance du parcours sportif et de l’implication que je pouvais avoir au niveau associatif et au niveau des autres membres de l’équipe de France. J’ai vraiment adoré. Entrer en tête de la délégation française en portant le drapeau français dans un stade de 80 000 personnes est quelque chose d’extraordinaire, surtout pour un athlète comme moi qui fait de la voile et qui n’a pas l’habitude de rentrer dans un stade. J’étais à la tête d’une délégation magnifique avec des athlètes formidables. Je mesure aujourd’hui la chance que j’ai eu de pouvoir être porte-drapeau de cette délégation. Ce sont des souvenirs qui resteront vraiment gravés dans ma mémoire. On peut être médaillé aux Jeux plusieurs fois, mais on ne peut être porte-drapeau qu’une seule fois dans sa vie, et encore il faut beaucoup de chance pour être nommé. Je remercie vraiment les gens qui m’ont fait confiance à ce moment-là. Les Jeux Paralympiques de 2012 étaient une aventure extraordinaire, même si j’ai terminé à la quatrième place et n’ai pas remporté de médaille. C’était magique d’avoir vécu ces Jeux de l’intérieur en tant que capitaine de l’équipe de France.

La voile ne sera pas présente aux Jeux Paralympiques de Tokyo. On imagine que c’est frustrant de ne pas pouvoir défendre votre titre Paralympique ?

Oui, c’est dommage. La voile paralympique est sortie du programme des Jeux. C’est une décision qu’on a du mal à comprendre. C’est une déception parce que j’ai l’impression de pratiquer le plus beau sport du monde. C’est surtout frustrant pour les jeunes qui étaient embarqués dans cette série et qui commençaient à atteindre le haut niveau. Je trouve que ce n’est pas un bon signe envoyé par le Comité International Paralympique à l’ensemble des athlètes. La voile était le seul sport entièrement mixte aux Jeux Paralympiques : il n’y avait pas de catégories hommes/femmes et pas même de catégorie entre les handicaps. Tout le monde naviguait les uns contre les autres. C’était extraordinaire de voir cette mixité sur l’eau. C’est dommage qu’on ne soit plus présent.

Pour finir, quel est votre programme pour l’année 2020 ?

Cette année 2020 va être très chargée. Le bateau va entrer en chantier début janvier. On va le remettre à l’eau au mois d’avril. Au mois en mai, j’aurai une première course transatlantique en solitaire : The Transat, qui part de Brest et qui arrive à Charleston aux Etats-Unis. On aura le retour en course en solitaire entre New-York et les Sables-d’Olonnes au mois de juin. Ensuite, on va vraiment basculer sur la préparation du Vendée Globe avec d’autres petites courses intermédiaires. Tout cela va nous emmener au départ du Vendée Globe le 8 novembre. Le village va ouvrir trois semaines avant le début de la course. On sait que ça va encore une fois être une superbe édition avec beaucoup de public qui viendra voir les bateaux. Je m’attends à vivre quelque chose d’assez extraordinaire !

Merci beaucoup Damien pour votre disponibilité et bonne chance pour le Vendée Globe 2020 !

La carrière de Damien Seguin en quelques lignes :

Damien Seguin remporte la médaille d’or lors de sa première participation aux Jeux Paralympiques, en 2004 à Athènes (catégorie 2.4mR). En 2005 et en 2007, il devient champion du monde. Lors des Jeux Paralympiques de Pékin en 2008, il décroche la médaille d’argent.

Il est désigné porte-drapeau de la délégation française pour les Jeux Paralympiques de Londres en 2012. Il achève sa compétition à la quatrième place. Il remporte en 2012, en 2015 et en 2019 trois nouveaux titres de champion du monde et en 2016 la médaille d’or des Jeux Paralympiques de Rio.

En parallèle de sa carrière handisport, il concoure également en course au large. Il obtient plusieurs places d’honneur en catégorie Class40, notamment sur la Transat Jacques-Vabre (2e en 2011) et sur la Route du Rhum (8e en 2014). Puis il passe en catégorie Imoca avec une 6e place sur la Route du Rhum 2018 et une 14e place sur la Transat Jacques-Vabre 2019. Aujourd’hui âgé de 40 ans, Damien Seguin se prépare pour le Vendée Globe 2020.

drapeau paralympique Participations aux Jeux Paralympiques d’Athènes 2004, PĂ©kin 2008, Londres 2012 et Rio 2016

medaille medaille MĂ©daillĂ© d’or aux Jeux Paralympiques d’Athènes 2004 et Rio 2016 (voile)
medaille MĂ©daillĂ© d’argent aux Jeux Paralympiques de PĂ©kin 2008 (voile)

Un commentaire pour cet article
  1. […] à l’ensemble des athlètes. » a-t-il déclaré à Interviewsport. Une suppression incomprise par beaucoup. Reverra-t-on ces disciplines à Paris en 2024 […]

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