Interview de Caroline Jouisse
(natation)

Championne d’Europe du 25 km en eau libre en 2022, Caroline Jouisse a terminĂ© huitième des Jeux Olympiques de Paris 2024 sur le 10 km. Elle nous explique comment elle a vĂ©cu son Ă©preuve disputĂ©e dans la Seine ainsi que son expĂ©rience Olympique.

Caroline, tu as obtenu ton ticket pour les Jeux Olympiques de Paris 2024 grâce à ta septième place au 10 km des Championnats du monde de Doha en février 2024. On imagine que tu as ressenti une grosse pression avant cette épreuve ?

Oui. La qualification pour les Jeux Olympiques se jouait sur cette course : il fallait terminer dans le top 13 des Championnats du monde de Doha.

Mais j’ai eu encore plus de pression lors de l’épreuve de Coupe du monde de Funchal en décembre 2023. Même si c’était moins prestigieux que les Championnats du monde, la particularité de cette course était qu’il s’agissait des sélections nationales de nombreux pays pour déterminer les athlètes qui iraient aux Mondiaux deux mois plus tard. La plupart des nageurs jouaient ainsi leur qualification sur cette épreuve. De plus, elle était plus compétitive que les Championnats du monde car deux athlètes par pays seulement concourent aux Championnats du monde. J’ai terminé dixième de cette Coupe du monde de Funchal.

J’ai ensuite abordé les Championnats du monde plus sereinement. Même si on n’est jamais sûr de rien, il était logique que je réalise un top 13 en février aux Championnats du monde après avoir effectué un top 10 en décembre dans cette compétition plus relevée.

La natation en eau libre des JO avait lieu dans la Seine et il y a eu beaucoup de polĂ©miques sur la qualitĂ© de l’eau. Cela a-t-il Ă©tĂ© compliquĂ© de se prĂ©parer Ă©tant donnĂ© les incertitudes sur la tenue ou non de l’épreuve le jour J ?

Pour moi, le plus difficile a Ă©tĂ© de faire abstraction des mĂ©dias et de tous les articles sur le sujet. En France, on est très fort pour cibler un point nĂ©gatif et « s’acharner Â» dessus. L’ancien DTN avait comptabilisĂ© le nombre d’articles sur le fait que la natation ait lieu dans la Seine : je ne me souviens plus exactement, mais c’était un nombre hallucinant. C’était pĂ©nible.

L’autre point concernait les rĂ©seaux sociaux, mais j’ai bien rĂ©ussi Ă  m’en dĂ©tacher. Des gens me posaient des questions par curiositĂ©. Je ne pense pas que c’était mĂ©chant, mais je recevais très rĂ©gulièrement des messages de gens extĂ©rieurs au sport : « Ă§a va vraiment avoir lieu dans la Seine ? Â», « mais comment vous allez faire ? Â», « mais la Seine est sale ! »… Entre fĂ©vrier et aoĂ»t, j’ai reçu Ă©normĂ©ment de messages sur ce sujet. MĂŞme des athlètes d’autres nationalitĂ©s qui allaient participer aux Jeux m’ont Ă©crit : « mais tu es sĂ»r que ça va avoir lieu ? », « mais comment on va faire, il y a du courant et ce n’est pas propre ! Â». Comme j’étais Française, ils ont essayĂ© d’avoir des informations et de savoir si ça allait vraiment se passer dans la Seine.

« Il y avait une résonnance incroyable quand on passait sous les ponts »

La course des JO a Ă©tĂ© particulièrement difficile avec un fort courant et des ronces. Peux-tu nous raconter comment tu as vĂ©cu cette course de l’intĂ©rieur ?

Que ce soit la préparation ou la course en elle-même, tout est passé très vite. Ça été l’une des courses les plus dures de ma carrière.

Il existe très peu de courses avec du courant, on n’a pas l’habitude et c’est donc quelque chose qu’on ne maitrise pas. Malheureusement, je pense qu’on (les trois autres nageurs français et moi) n’a pas eu une prĂ©paration optimale concernant cet aspect. C’est dommage car on savait depuis très longtemps que la course se dĂ©roulerait dans la Seine. Il n’y a pas eu beaucoup de choses mises en place. Je pense que ça aurait valu le coup de faire des regroupements les annĂ©es antĂ©rieures, mĂŞme sans savoir quels nageurs seraient qualifiĂ©s. Il ne s’agissait pas forcĂ©ment de nager dans la Seine : il y a d’autres endroits en France oĂą on peut  avoir du courant. Il existe aussi des bassins avec contre-courant, les « flooms Â». Je pense qu’on a ratĂ© quelque chose. C’est dommage, mais on ne refera pas le monde.

La course a Ă©tĂ© très dure mais a Ă©tĂ© exceptionnelle. L’eau libre reste un sport mineur, qui n’est pas autant regardĂ© que la natation en bassin. Mais aux JO, niveau public, cela n’aurait pas pu ĂŞtre mieux ! Il y avait beaucoup de supporters sur les ponts et des deux cĂ´tĂ©s de la Seine. Il y avait une rĂ©sonnance incroyable quand on passait sous les ponts. On entendait Ă©normĂ©ment les gens !

Il s’agissait de tes premiers Jeux Olympiques et tu as terminĂ© huitième du 10 km. Ce rĂ©sultat correspondait-il Ă  tes attentes ?

Pas du tout ! Chaque athlète qui va aux Jeux vise plus qu’une participation. Chez les filles, je pense que la troisième place Ă©tait vraiment ouverte. La Hollandaise Sharon van Rouwendaal avait remportĂ© deux titres de championne du monde en fĂ©vrier et Ă©tait sur une très bonne dynamique. Elle Ă©tait indĂ©niablement au-dessus. Mais ensuite, plusieurs filles Ă©taient prĂ©tendantes au podium. Je pense que la troisième place Ă©tait ouverte et accessible pour moi. Sur une course d’eau libre, il peut se passer beaucoup de choses.

Le top 8, cela reste bien. Avec l’autre Française, on a terminé septième et huitième, soit les meilleures résultats en eau libre aux JO. Mais d’un point de vue personnel je visais mieux. Cet objectif de médaille de bronze s’est éloigné petit à petit pendant la préparation.

Le 10 km femmes avait lieu en fin de programme des JO. As-tu quand mĂŞme pu profiter de la magie Olympique ? As-tu participĂ© aux cĂ©rĂ©monies d’ouverture et de clĂ´ture ?

Non, je n’ai pas du tout pu en profiter ! Je n’ai pas participĂ© Ă  la cĂ©rĂ©monie d’ouverture car on Ă©tait en stage de prĂ©paration. Par contre, j’ai assistĂ© Ă  la cĂ©rĂ©monie de clĂ´ture au Stade de France et c’était assez exceptionnel. On n’a pas logĂ© dans le Village Olympique car il Ă©tait Ă©loignĂ©. Cette dĂ©cision avait Ă©tĂ© prise en amont et avait Ă©tĂ© validĂ©e Ă  la fois par le staff et les nageurs. Tout le monde Ă©tait plutĂ´t unanime pour faire passer la performance avant tout.

Je dis souvent que ma compétition commence quand je prends l’avion. Le fait de prendre l’avion pour me rendre sur le lieu de compétition, d’arriver dans un autre pays et de parler une autre langue, tout cela me fait entrer dans ma compétition. Aux JO, je n’ai pas eu tout ça. Je voulais me détacher le plus possible de l’événement pour éviter la pression énorme de ces Jeux en France, les premiers Jeux de ma carrière. Je n’ai du coup pas du tout vécu cette quinzaine comme des Jeux Olympiques.

Avec le recul, je garde de meilleurs souvenirs du cheminement pour aller chercher la septième place des Championnats du monde que du cheminement pour cette huitième place aux JO.

« Ce titre, honnêtement, si c’était à refaire, je n’en voudrais pas »

En 2022, tu es devenue championne d’Europe du 25 km dans des conditions rocambolesques : la course a Ă©tĂ© interrompue sans communication aux athlètes au bout de trois heures Ă  cause des conditions mĂ©tĂ©o, et l’épreuve d’abord annulĂ©e avant que le classement soit finalement homologuĂ© en prenant en compte la première place que tu occupais lors de l’arrĂŞt de la course. Comment as-tu vĂ©cu ce titre très particulier ?

Je l’ai très mal vécu. J’étais en effet première quand ils ont arrêté la course au bout de 18 km. J’avais terminé cinquième des Championnats du monde un mois et demi avant. On était trois Françaises et on pouvait réaliser un podium, mais on n’était pas forcément attendues. Le fait que la course ait été annulée, qu’un nageur français ait été classé quatrième alors qu’il monte souvent sur le podium aux Championnats d’Europe, que les résultats ne soient pas acceptés de la part de l’équipe de France (le Français était quatrième derrière trois Italiens lors de l’arrêt de la course par l’organisation italienne sans communication préalable aux athlètes masculins comme le veut pourtant le règlement dans ce cas, ndlr)… Il y a eu plein de choses… Ce titre, honnêtement, si c’était à refaire, je n’en voudrais pas. Cela m’a ensuite amené beaucoup de choses négatives. Comme cette course avait lieu en Italie, que je parle italien couramment et que je m’entends très bien avec le coach italien (il avait été mon entraîneur auparavant), des gens sont aujourd’hui encore persuadés que j’ai eu l’information avant que la course allait s’arrêter. L’après-course a malheureusement été très compliqué.

En mai 2023, tu as remportĂ© l’épreuve de Coupe du monde de Setubal au Portugal sur le 10 km. Sentais-tu ce jour-lĂ  que tu pouvais gagner ou bien cela a Ă©tĂ© une bonne surprise ?

C’était une bonne surprise. Je ne m’imaginais pas gagner. J’ai terminé première au sprint devant Sharron van Rouwendaal, qui est ensuite devenue championne Olympique 2024, et devant Arianna Bridi, qui est aussi une pointure de l’eau libre. Je ne m’attendais pas à ce podium et j’en suis très fière.

Je ne sais pas pourquoi, mais Setubal est vraiment une course que j’adore. J’y ai tout le temps eu des bons rĂ©sultats. J’y ai terminĂ© sixième en 2019 alors que je dĂ©butais sur les manches de Coupe du monde, j’ai gagnĂ© en 2023, je me suis classĂ©e quatrième en 2024 suite Ă  un mauvais choix de trajectoire alors que j’étais première pas loin de l’arrivĂ©e, et je viens d’y finir troisième en 2025. Cette course a quelque chose de spĂ©cial pour moi !

Pour finir, quelles sont tes prochaines Ă©chĂ©ances ?

Ce sera les Championnats du monde, qui auront lieu cet été à Singapour. Je m’y suis qualifiée lors des Championnats de France d’eau libre qui viennent d’avoir lieu.

Merci Caroline et bonne chance pour les Championnats du monde !

La carrière de Caroline Jouisse en quelques lignes :

Caroline Jouisse pratique la natation en eau libre et remporte en 2016 la médaille de bronze du 25 km des Championnats d’Europe. En 2019, elle prend la 3e place du 10 km à la Coupe du monde du Lac St Jean (Canada) ainsi qu’aux Jeux Mondiaux militaires.

En 2022, elle devient championne d’Europe du 25 km et participe aux Championnats du monde (5e du 25 km, 31e du 10 km et 4e du relais 4×1500 m). L’annĂ©e suivante, elle remporte l’épreuve de Coupe du monde de Setubal (Portugal) sur le 10km.

Lors des Jeux Olympiques de Paris 2024, elle termine 8e du 10 km et signe ainsi une place de finaliste. En 2024, elle participe aussi aux Championnats du monde (7e du 10 km, 8e du 5 km et 6e du relais 4×1500 m) et aux Championnats d’Europe (9e du 10 km et du 5 km, mĂ©daillĂ©e de bronze du relais 4×1500 m). Aujourd’hui âgĂ©e de 31 ans, Caroline Jouisse va participer aux Championnats du monde de Singapour en juillet.

drapeau paralympique Participation aux Jeux Olympiques de Paris 2024

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