Interview de Jérôme Thomas

(boxe)

Jérôme Thomas est l’un des grands noms de la boxe en France. Médaillé Olympique à deux reprises, en bronze à Sydney et en argent à Athènes, il a aussi été le premier Français champion du monde de boxe amateur en 2001. Il a accepté de revenir pour nous sur sa belle carrière et nous parle de sa reconversion.

Jérôme, tu as remporté ta première médaille Olympique en décrochant le bronze lors des Jeux Olympiques de Sydney en 2000. On imagine que c’est un grand souvenir d’avoir remporté une médaille pour tes premiers JO ?

Oui. A la base, pour un gamin comme moi, c’était déjà énorme de se qualifier. J’avais 20 ans. Brahim (Asloum) et moi étions tous les deux très jeunes et on a eu notre chance parce qu’on était chacun numéro 1. On a changé de catégorie juste avant de se qualifier aux Jeux. J’étais en -48 kg et lui en -51 kg, mais comme j’avais des problèmes de poids et qu’il est plus petit que moi, on a changé. Aller aux JO, c’est une chose, mais ramener une médaille, c’en est une autre !  Ca faisait un petit moment qu’il n’y avait pas eu de podium français en boxe. Ma médaille a été un peu moins médiatisée du fait de la médaille d’or de Brahim, mais je vivais quelque chose de fou !

En 2004, tu as remporté la médaille d’argent lors des Jeux Olympiques d’Athènes. Considères-tu que cette deuxième médaille a été plus difficile à aller chercher que celle quatre ans plus tôt ?

En 2000, j’ai remporté la médaille de bronze aux JO. En 2001, je suis devenu le premier Français à être champion du monde. En 2003, j’ai remporté une médaille aux Championnats d’Europe. En 2004, j’espérais donc aller au bout !

C’était peut-être plus dur en 2004. J’ai fait un plus beau parcours parce que j’ai combattu des Kazakhs, des Ouzbeks, des pointures avec de l’expérience.

En 2008, tu as disputé tes troisièmes Jeux Olympiques à Pékin mais tu as été éliminé dès le premier tour. Cet échec a-t-il été particulièrement dur à digérer ?

Non, pas du tout. Pour la petite histoire, j’ai fait un forfait de poids à l’avant dernier tournoi de qualification aux JO. J’ai donc été sanctionné. Mais j’ai quand même réussi à me qualifier au dernier tournoi. Après la première pesée à Pékin, Dominique Nato (le Directeur Technique National de l’époque, ndlr) m’a pris dans ses bras et m’a dit : « Jéjé, tu as déjà gagné ». J’avais des problèmes de poids et de soucis personnels très difficiles. C’est dommage car j’avais déjà battu plusieurs fois celui qui m’a battu. J’y croyais dans la tête mais le corps ne suivait plus à un moment. Mes dents se sont décalcifiées. Un mois et demi avant les Jeux de Pékin, je ne pouvais déjà plus mettre les gants. Je ne pouvais que courir ! Mon poids ne descendait plus ! C’est un truc de fou. Personne ne le sait ! J’étais si faible que j’ai dû boire 15 cafés avant de monter sur le ring aux JO. Mes parents m’ont dit : « quand on t’as vu monter sur le ring, tu avais les yeux vitreux, tu n’étais plus là ». C’est comme ça !

En plus de tes deux médailles Olympiques, tu es devenu le premier Français champion du monde amateur en 2001. De laquelle de ces trois médailles es-tu le plus fier avec le recul ?

Les médailles Olympiques sont médiatisées dans le monde entier alors qu’en France, peu de personnes ont su que j’avais remporté le titre de champion du monde. Ce n’était pas en direct. Mais la médaille dont je suis le plus fier est peut-être d’avoir été champion du monde. Une fois, j’avais dit à mon beau-père : « Je te ferai retentir la Marseillaise ». Lorsque j’ai gagné le titre à Belfast, je me rappelle que je l’avais appelé : « Vas-y écoute, c’est cadeau ! ». Il a donc appris que j’étais champion du monde en écoutant la Marseillaise ! C’est un beau souvenir ! Je retiens ce côté familial.

Tu es passé professionnel en 2008, à l’âge de 29 ans. Avec le recul, tu considères que c’était le bon moment  ou bien trop tard ?

Je voulais rester amateur jusqu’en 2012 et monter de catégorie. Mais la Fédération n’a pas voulu. Je suis donc rentré chez moi et je pensais arrêter. Je ne me voyais pas passer professionnel. Mon frère Cyril m’a alors dit : « Fais-toi un petit plaisir, passe professionnel. Tu vas être champion de France, tu peux être champion de l’Union Européenne ou d’autres petites Fédérations. Fais marcher ton nom, tu es connu ! ». Je suis donc passé pro.

Mon meilleur souvenir dans ma carrière professionnelle, c’est quand j’ai fait match nul de l’Union Européenne en super-coq. C’était à Saint-Quentin. Je t’avoue, j’avais perdu ce combat en réalité. Mais c’est le seul combat où je me suis préparé comme un malade. Je savais que ça allait être très dur. C’est mon combat le plus abouti. Malheureusement, les juges ont décrété match nul alors que j’aurais dû perdre.

Tu as la particularité d’être atteint du syndrome de Poland et d’avoir ainsi un bras plus court que l’autre. Considères-tu que tu aurais pu être encore plus compétitif sans cet handicap ou au contraire, tu penses que cela t’as donné plus d’envie et de hargne pour t’imposer ?

J’ai toujours eu un besoin de revanche sur la vie. Je suis issu d’une famille de sept enfants. C’est une force de caractère. C’est prendre la vie à contre-sens. Pourquoi je ne pourrais pas faire de boxe ? Parce que j’ai une petite main ? Parce que j’ai le bras un peu plus court et pas de pectoraux ? Des gens m’ont dit : « tu ne pourras pas passer pro, tu n’as pas de pectoraux et tu peux te faire crever le cœur ». Lors de mon premier tournoi international junior, le docteur n’a pas voulu me faire boxer. Il m’a refusé à la visite médicale : « it’s not possible ! ». Heureusement, mon entraîneur Aldo Constantino avait alors fait un sketch et j’ai finalement gagné la médaille de bronze de ce tournoi.

Tu as arrêté ta carrière en 2012, à l’âge de 33 ans. Peux-tu nous raconter un peu ta reconversion ?

En 2012, j’étais en CDI au Boxing Club de Saint-Quentin. J’étais payé par la ville. Mais j’ai démissionné parce que ça ne me plaisait pas. Aujourd’hui, je suis éducateur sportif dans la ville de Saint-Quentin, dans l’Aisne. Je m’occupe des jeunes. J’ai des petits projets pour l’année prochaine, peut-être notamment un petit business à faire en parallèle.

Tu n’es donc pas resté dans le milieu de la boxe ?

Je ne suis plus du tout dans le monde de la boxe. Je suis juste allé à un gala l’année dernière pour mon frère Guillaume. Je ne côtoie plus personne du monde de la boxe, et la Fédération ne s’intéresse visiblement pas trop à ce que je deviens. Le staff de la Fédération ne m’a a jamais demandé d’essayer de venir pour apporter mon expérience. C’est malheureux mais c’est comme ça. Je ne suis pas le seul.

L’équipe de France de boxe a particulièrement brillé aux Jeux Olympiques de Rio l’année dernière. As-tu été un spectateur attentif de la boxe lors de ces JO ?

Pendant les JO, je donnais des cours de boxe dans un club EDF-GDF. Je n’ai donc pas trop regardé les combats à cause du décalage horaire. Sofiane Oumiha, qui a remporté la médaille d’argent, m’a beaucoup impressionné. Je pense qu’il ira loin. Les autres ne m’ont pas trop intéressé.

C’est bien qu’ils aient eu des résultats, mais trop de médailles tue les médailles. Il y a eu beaucoup de polémiques derrière. J’ai trouvé cela dommage. Tant mieux, le monde de la boxe évolue et les Français sont maintenant meilleurs au niveau du lobbying. Je n’enlève pas la valeur des boxeurs, mais de notre temps, c’était plus compliqué d’aller chercher les médailles parce qu’on n’avait pas les moyens. Il faut savoir que la boxe, ce n’est pas que sportif. Mais je suis content pour ces boxeurs car je sais qu’une médaille Olympique peut changer la vie de ces jeunes. De plus, ils parlaient très bien !

Merci beaucoup Jérôme pour ta disponibilité et bravo pour ta carrière !

La carrière de Jérôme Thomas en quelques lignes :

Jérôme Thomas participe à ses premiers Jeux Olympiques en 2000 à  Sydney. Il s’y distingue en remportant la médaille de bronze de la catégorie des poids mouches, après avoir été éliminé en demi-finales. L’année suivante, il devient champion du monde de boxe amateur à  Belfast. En 2002, il prend le bronze des Championnats d’Europe. Il remporte ensuite l’argent des Championnats du monde 2003 à Bangkok.

Lors des Jeux Olympiques d’Athènes en 2004, il remporte une nouvelle médaille Olympique avec l’argent des poids mouches. Deux ans plus tard, il obtient sa seconde médaille de bronze aux Championnats d’Europe 2006.

Il parvient à se qualifier pour ses troisièmes Jeux Olympiques consécutifs en 2008, à Pékin. Mais il est éliminé au premier tour. Il débute ensuite une carrière professionnelle. Il met un terme à sa carrière en 2012, après 12 victoires, 1 nul et 1 défaite chez les professionnels.

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