Interview de Jérôme Jeannet

(escrime)

Jérôme Jeannet est double champion olympique d’épée par équipe. Il a remporté ces titres lors des Jeux Olympiques de 2004 et de 2008. En individuel, il a également été champion d’Europe et deux fois médaillé de bronze aux Championnats du monde.

Jérôme, vous êtes double champion olympique en épée par équipe. Considérez-vous que ces deux titres obtenus lors des JO de 2004 et de 2008 ont changé votre vie ?

Il serait difficile de dire le contraire ! Ils n’ont pas foncièrement changé ma vie mais j’ai acquis une petite notoriété. C’est sûr que ça m’a donné quelques opportunités supplémentaires. Mais ça ne m’a pas non plus rendu millionnaire !

Quel a été selon vous le titre olympique le plus difficile à obtenir : celui de 2004 ou celui de 2008 ?

Assurément celui de 2004 ! Déjà, il s’agissait de mes premiers Jeux : on ne connait pas et on prend la pression de plein fouet. Et puis cela avait surtout été très compliqué au niveau du scénario de la journée. Cela avait notamment été très difficile en demi-finale contre les Allemands : on menait de beaucoup de touches, ils sont revenus, ils sont passés devant, il restait très peu de temps… Ça a vraiment été l’ascenseur émotionnel ! On a vraiment lutté sur tous les matchs en 2004.

Alors qu’en 2008, j’ai envie de dire qu’on a presque récité. On savait pourquoi on était là. On était préparé pour ça et on connaissait déjà. En fait, on a presque récité la partition parfaite. On a fait de très bonnes entames de matchs, on a mené tout de suite, on a contrôlé toutes les équipes. La seule chose qui ait gâché la fête en 2008 est le fait que Jean-Michel n’ait pas pu avoir la médaille (le remplaçant de l’équipe de France Jean-Michel Lucenay n’a pas été autorisé à rentrer en cours de compétition et n’a donc pas reçu de médaille, ndlr). Sinon, en termes de difficultés d’escrime même, 2004 et 2008 n’ont rien de comparable.

Mis à part ces deux titres, quels souvenirs gardez-vous de ces deux éditions des Jeux Olympiques ?

J’ai un souvenir mitigé de 2004 parce que j’étais remplaçant. Je n’étais pas au village olympique et je n’ai donc pas vraiment connu les Jeux. Je faisais les entraînements avec les gars mais globalement, je n’étais pas aux Jeux. Quand on est remplaçant et qu’on n’est pas dans l’équipe titulaire, on a un peu cette sensation d’être exclu des Jeux, l’impression de n’être rien. Finalement, je suis rentré pour le jour de l’équipe et on a gagné, mais globalement, je n’ai pas connu grand-chose des Jeux.

Par contre en 2008, j’ai tout bien fait pour être dans l’équipe titulaire et j’ai vraiment profité pleinement. J’étais au village, j’ai fait la cérémonie d’ouverture… Donc là pour le coup, c’était les vrais Jeux !

Votre frère Fabrice a lui aussi été un grand champion d’escrime. Comment avez-vous géré le fait que votre frère soit à la fois un adversaire en individuel et un coéquipier par équipe ?

Ce n’est pas facile à gérer mais c’est quelque chose qui vient assez naturellement. Quand on s’est dirigé vers la même discipline, on savait qu’on pouvait se rencontrer. C’est d’ailleurs arrivé assez rarement. Les matchs en individuel contre mon frère sont toujours assez difficiles à gérer. On est tous les deux des grands compétiteurs et on se connaît tellement que les confrontations se jouent à pas grand-chose. Il y en a toujours un qui va forcément sortir frustré d’avoir perdu.

Par contre, le fait d’être frères a toujours été une grande force dans l’équipe parce qu’on se connaît par cœur et qu’on peut presque communiquer sans parler. On est en osmose sur pas mal de choses. On a des caractères bien tranchés mais on sait pourquoi on est en ensemble. On a toujours été très complémentaires et c’était vraiment du bonheur d’être avec lui par équipe.

On parle souvent des bons moments dans une carrière. Avez-vous aussi connu un moment particulièrement difficile ?

Oui, bien sûr, même plusieurs. Notamment par exemple en 2004. C’était une année olympique. Quand on a su que l’équipe était qualifiée, il fallait alors faire partie des trois qui allaient être titulaire pour les JO. La saison s’est passée et à la dernière compétition sélective, j’ai terminé deuxième. Au total des points, j’ai fini deuxième de la saison à deux points du premier. En fait, si j’avais gagné la dernière compétition, je serais passé à la première place. Or, le premier était automatiquement sélectionné en tant que titulaire. Finalement, je me suis retrouvé quatrième, c’est-à-dire celui qui n’a pas été pris. C’est quand même assez dur à encaisser de ne pas être dans l’équipe titulaire quand on est le deuxième meilleur de la saison, à deux points du premier. J’avoue que c’était assez difficile de digérer la pilule.

J’ai subi pas mal de déceptions ou de désillusions, mais comme le dit le proverbe, « ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort ». Après ce qui m’est arrivé en 2004, je me suis dit qu’il ne fallait pas que ça m’arrive en 2008. Je me suis alors débrouillé pour être premier aux points, titulaire indiscutable. J’étais le premier qualifié pour les Jeux en 2008 !

En individuel, vous avez été champion d’Europe en 2007 et médaillé de bronze aux Championnats du monde en 2007 et 2009. Après de nombreux titres par équipe, ces médailles en individuel ont-elles été un aboutissement ?

Oui, j’ai été content. J’ai commencé ma carrière internationale en ayant une médaille de bronze aux Championnats du monde à Nîmes. C’est un peu ce qui m’a lancé dans le bain de l’équipe de France. Après, on a gagné les Jeux en 2004 et les Championnats du mondes en 2005 par équipe. Mais je n’avais toujours aucune médaille en individuel dans un grand championnat. J’avais une certaine valeur mais je ne voulais pas passer éternellement pour le bon coéquipier. Pour le coup, 2007 a été une superbe année : on a fait des résultats par équipe et j’ai obtenu un titre européen et une troisième place aux Championnats du monde. Ce n’était pas un soulagement, mais à ce moment-là, on se dit : « ça va » ! Je pensais avoir une certaine valeur et cela se vérifiait.

Vous avez pris votre retraite sportive en 2010, après la médaille d’or par équipe aux Championnats du monde à Paris. Cette décision a-t-elle été prise pour finir au sommet ou bien vous aviez pris cette décision avant l’épreuve ?

En fait, j’ai réfléchis après. J’ai eu une bonne période de réflexion. J’aime toujours la compétition. Je pense que je suis un compétiteur né. J’aime le challenge et rencontrer des gens forts. C’est ce qui me motive. Le souci, c’est qu’il faut s’entraîner pour être bon en compétition. J’étais arrivé à un moment où je me demandais si j’étais prêt à fournir tous les efforts pour rester bon. Je n’avais pas envie de finir ma carrière sur des contre-performances juste parce que je n’avais pas l’envie ou que je ne me donnais pas les moyens. Mon fils étant né en 2009, je commençais à avoir d’autres perspectives de vie et j’ai préféré mettre un terme à ma carrière.

C’est vrai qu’on était au sommet. Je pense que physiquement, je n’étais pas non plus trop à la rue. J’aurais pu continuer au moins jusqu’aux Jeux au niveau physique, mais je ne sais pas si j’aurais eu la rigueur et le courage de me donner tous les moyens pour être bon. Or, il n’y a pas de secret : il faut s’entraîner tous les jours. Jusqu’à présent, j’avais pris énormément de plaisir à l’entraînement et je ne voulais pas passer à la zone où ça devient pesant.

Depuis cette retraite sportive, que devenez-vous et quels sont vos projets ?

A titre personnel, j’ai travaillé un an dans le monde du poker en ligne. Avec mon frère, on avait un contrat qui s’est arrêté en décembre 2011. Maintenant, je me lance dans l’entreprenariat. Je crée une boîte et je suis en train de lancer dans une nouvelle activité. Ce sont d’autres perspectives et c’est stimulant. Je pense que j’ai l’esprit d’entreprenariat. J’aime bien avoir des idées, diriger… Voilà, c’est quelque chose que j’avais envie de découvrir et d’essayer. J’espère que ça marchera !

Merci beaucoup Jérôme et bonne chance pour vos nouveaux projets !

Remerciements aussi à Cyrielle Vernat.

Crédit photos : Panoramic (photo 1), Adam Pretty Getty Images (photo 2), AFP (photo 3)

La carrière de Jérôme Jeannet en quelques lignes :

Spécialiste de l’épée, Jérôme Jeannet remporte sa première médaille lors des Championnats du monde 2001 avec le bronze par équipe. Désigné remplaçant lors des Jeux Olympiques d’Athènes en 2004, il rentre en cours de compétition et devient ainsi champion olympique d’épée par équipe.

Il enrichit ensuite son palmarès. En équipe, il devient champion du monde en 2005 et 2007. En individuel, il prend en 2007 à la fois le bronze des Championnats du monde et l’or des Championnats d’Europe.

En 2008, il devient à nouveau champion olympique lors de l’épreuve d’épée par équipe, en tant que titulaire cette fois. Lors de ces JO de Pékin, il est éliminé en huitièmes de finale de l’épreuve individuelle. L’année suivante, il remporte la médaille de bronze en individuel et la médaille d’or par équipe lors des Championnats du monde d’Antalya. En 2010, après un nouveau titre de champion du monde par équipe remporté à Paris, il décide de prendre sa retraite sportive.