Interview de Franck Solforosi
(aviron)

En 2016, Franck Solforosi a remporté la médaille de bronze des Jeux Olympiques de Rio en quatre sans barreur poids légers. Le double champion du monde nous explique comment il a préparé et vécu cette course.

Franck, tu as participĂ© Ă  tes premiers Jeux Olympiques en 2008 Ă  PĂ©kin, finissant quatrième du quatre sans barreur poids lĂ©gers. A l’époque, ce classement Ă©tait-il une satisfaction pour tes premiers JO ou bien une dĂ©ception d’être passĂ© proche du podium ?

C’Ă©tait clairement une dĂ©ception. Lors des trois Championnats du monde avant les Jeux, on a Ă©tĂ© champions du monde et deux fois vice-champions du monde. Les Canadiens ont remportĂ© la mĂ©daille de bronze Ă  PĂ©kin alors qu’ils avaient terminĂ© quatrièmes des deux Mondiaux prĂ©cĂ©dents.

Il faut savoir que le contexte Ă©tait un peu particulier. Notre coĂ©quipier Jean-Christophe Bette a eu une hernie cervicale paralysante lors du stage terminal. Il avait un bras quasiment paralysĂ©. On a donc dĂ» rĂ©aliser quasiment toute la prĂ©paration terminale sans lui. Cela a forcĂ©ment impactĂ© un peu la performance finale. On a fait ce qu’on pouvait, mais il reste un goĂ»t d’inachevĂ©.

En 2016, tu as remportĂ© la mĂ©daille de bronze des Jeux Olympiques de Rio. Peux-tu tout d’abord nous raconter comment se sont dĂ©roulĂ©es les premières courses ?

On n’est pas bien entrĂ©s dans ces Jeux Olympiques. On a terminĂ© quatrièmes des sĂ©ries. Quand on a l’objectif de remporter une mĂ©daille et qu’on se classe quatrième d’une sĂ©rie qui ne regroupe pas les meilleurs, ça ne met pas trop en confiance ! Mais on a su se remobiliser.

On a compris pourquoi on avait rĂ©alisĂ© cette contre-performance : c’Ă©tait Ă  cause des conditions climatiques et d’une vague qui a rempli le bateau d’eau. Il y avait du vent de travers, qui crĂ©ait des vagues parallèles au bateau. A un moment, une vague nous a fait perdre l’équilibre, le bateau est tombĂ© d’un cĂ´tĂ© et la vague d’après a dĂ©ferlĂ© sur notre bateau et l’a rempli d’une trentaine de litres d’eau au niveau de Thomas Baroukh. Mais comme ça s’est passĂ© uniquement Ă  son niveau, on n’Ă©tait pas au courant qu’on traĂ®nait une trentaine de kilos en plus. On voyait les autres bateaux qui nous remontaient de plus en plus, alors qu’on Ă©tait bien partis. On ne comprenait pas et on se sentait impuissants. L’entraĂ®neur n’en Ă©tait pas conscient non plus et pensait qu’on allait moins vite car on ramait moins bien.

Il a fallu relativiser et ça n’a pas Ă©tĂ© simple. Il s’agissait de ne pas perdre confiance, de ne pas tout remettre en question et de se remobiliser pour les repĂŞchages. Les repĂŞchages et les demi-finales nous ont permis de trouver des petites choses supplĂ©mentaires et d’être encore plus forts en finale. C’était donc finalement un mal pour un bien !

« En préparant mon sac avant la finale, je me suis bloqué le cou »

Il y avait un risque que la finale soit décalée à cause du vent et tu t’es bloqué le cou le matin même de la finale. Ce n’étaient pas des conditions idéales pour se préparer…

En aviron, comme dans tout sport extĂ©rieur, on est sujets aux conditions climatiques. Lors de ces JO, l’organisation avait dĂ©jĂ  annulĂ© des courses Ă  cause des conditions climatiques. Or, la mĂ©tĂ©o annonçait des conditions encore pires pour le jour de notre finale. Du coup, je me suis dit que les courses seraient annulĂ©es et j’ai très bien dormi. Je n’ai pas du tout stressĂ©. Mais quand je me suis levĂ©, il n’y avait pas un brin d’air ! En prĂ©parant mon sac avant la finale, je me suis bloquĂ© le cou. Je pense que ce n’Ă©tait pas un hasard : je crois que toute la pression est arrivĂ©e Ă  ce moment-lĂ .

Je suis alors allĂ© voir l’ostĂ©opathe dans le Village Olympique. Il m’a manipulĂ©. C’était un problème au niveau musculaire. J’avais du mal Ă  tourner la tĂŞte. J’arrivais Ă  la tourner Ă  droite, mais pas trop Ă  gauche. Pour la finale, j’ai eu de la chance car les adversaires Ă©taient justement sur ma droite ! Ce n’Ă©tait pas si mal. Une fois que le dĂ©part a Ă©tĂ© lancĂ©, je n’ai mĂŞme plus pensĂ© Ă  mon problème de cou. J’Ă©tais tellement concentrĂ© que j’ai oubliĂ© la douleur. La course s’est finalement bien passĂ©e !

Comment as-tu vĂ©cu cette finale Olympique de l’intĂ©rieur ? Ton embarcation Ă©tait quatrième Ă  la mi-course avant de terminer troisième…

La finale s’est passĂ©e exactement comme on l’avait envisagĂ©e. Les Suisses et les Danois Ă©taient favoris. On savait que si on battait les Italiens, on remporterait une mĂ©daille. Or, lors de la demi-finale, ces derniers avaient un bateau d’avance sur nous Ă  500 mètres de l’arrivĂ©e. On avait rĂ©ussi une grosse fin de course et on n’avait pas Ă©tĂ© loin de les dĂ©passer. Pour la finale, on s’Ă©tait dit qu’il fallait qu’on ait moins d’un bateau de retard au moment d’aborder les 500 derniers mètres, afin de pouvoir les battre sur la fin de course.

Lors de la finale, on Ă©tait bord Ă  bord Ă  500 mètres de la fin. On Ă©tait donc idĂ©alement positionnĂ©s par rapport Ă  notre plan. On leur a pris plus d’un bateau sur la fin de course. On a mĂŞme rĂ©ussi Ă  revenir un peu sur les deux bateaux de tĂŞte. Il ne nous a pas manquĂ© grand-chose pour grappiller encore une place. Etant donnĂ© notre dĂ©but des Jeux Olympiques, c’Ă©tait inespĂ©rĂ© de monter sur le podium. Et ça faisait quand mĂŞme douze ans que je courais après une mĂ©daille Olympique !

Tu as ensuite dĂ» passer dans la catĂ©gorie des lourds car ta catĂ©gorie des poids lĂ©gers a Ă©tĂ© supprimĂ©e du programme Olympique en 2017. On imagine que ça a Ă©tĂ© un grand changement ?

On a rapidement appris que le bateau de notre catĂ©gorie ne serait plus au programme Olympique. Je me suis alors donnĂ© l’objectif de passer en poids lourds. En poids lĂ©gers, il faut peser moins de 70 kg et les rameurs dĂ©passent rarement 1,85 m. En poids lourds, il n’y a pas de limite de poids et les rameurs atteignent gĂ©nĂ©ralement 1,90 m – 1,95 m pour 85-90 kg. Il y a donc une grosse diffĂ©rence.

J’ai d’abord effectuĂ© une saison en poids lĂ©ger avec un jeune. L’objectif Ă©tait de faire une saison internationale et de lui faire prendre de l’expĂ©rience pour ensuite passer ensemble en poids lourds. Malheureusement, la FĂ©dĂ©ration a dĂ©cidĂ© de n’emmener personne en saison internationale car la catĂ©gorie n’était plus Olympique. Ça a donc Ă©tĂ© une saison blanche.

Après, j’ai voulu transmettre et je me suis mis Ă  fond dans le projet sportif des poids lourds. En 2016, mĂŞme si on Ă©tait en poids lĂ©gers, on allait plus vite que le bateau français des lourds et on aurait eu le niveau pour espĂ©rer une finale en poids lourds. Or, l’embarcation française s’est classĂ©e onzième aux Jeux. Je me suis donc dit qu’ils iraient beaucoup plus vite s’ils savaient ramer un peu mieux. J’ai dĂ©cidĂ© de les rejoindre sur l’Olympiade dans une optique de transmission. J’ai trouvĂ© des sponsors qui m’ont permis d’arrĂŞter de travailler et m’entraĂ®ner plus.

« Je suis arrivé avec toute ma fougue, mon insouciance et ma confiance »

Tu as dĂ©clarĂ© forfait pour les Jeux Olympiques de Tokyo suite Ă  une blessure au dos et tu as mis un terme Ă  ta carrière. Que s’est-il passĂ© ?

En dĂ©cembre 2019, j’ai eu une blessure : une protusion discale. Il s’agissait d’une blessure articulaire avec un risque de compression de nerf et donc de paralysie. Je n’avais pas envie d’avoir des sĂ©quelles dans ma vie personnelle et j’ai donc prĂ©fĂ©rĂ© arrĂŞter.

Auparavant, j’ai Ă©tĂ© remplaçant aux Championnats du monde 2019. Le bateau avait terminĂ© quatorzième des Championnats du monde 2018 et j’avais ensuite pu intervenir un peu plus et aider Ă  faire passer le message du coach pour mieux travailler sur la technique. Ça a permis de travailler un peu plus efficacement et sereinement. Lors du stage terminal avant les Championnats du monde 2019, j’ai remplacĂ© un rameur qui Ă©tait blessĂ©. Il a ensuite pu reprendre. Ils ont terminĂ© huitième, alors que les sept premiers Ă©taient qualifiĂ©s pour les Jeux Olympiques. C’était rageant pour eux car ils n’ont vraiment pas Ă©tĂ© loin d’y arriver. Mais en mĂŞme temps, un gros gap avait Ă©tĂ© franchi en une annĂ©e !

Tu as participĂ© Ă  trois Ă©ditions des Jeux Olympiques : PĂ©kin 2008, Londres 2012 et Rio 2016. Quelle est l’édition qui t’a le plus marquĂ© ?

Je dirais les Jeux de PĂ©kin. Il s’agissait de ma première participation et ils avaient lieu Ă  l’autre bout du monde, dans un pays que je ne connaissais pas et ayant une autre culture. C’était aussi un pays plus totalitaire, oĂą tout Ă©tait dans l’extravagance. Ils avaient par exemple cachĂ© les bidonvilles afin de donner une image grandiose.

Les Jeux de Londres Ă©taient de mon point de vue un cran en-dessous car ils avaient lieu dans un pays que je connaissais dĂ©jĂ . Je n’ai donc pas Ă©tĂ© dĂ©paysĂ©.

En plus de ta mĂ©daille de bronze Olympique, tu comptes notamment Ă  ton palmarès deux titres de champion du monde, un titre de champion d’Europe, et plusieurs mĂ©dailles aux Championnats du monde et d’Europe. A part la mĂ©daille Olympique, quel est celle qui t’a apportĂ© le plus d’émotions ?

C’est le titre de champion du monde en 2005 qui m’a le plus marquĂ©. Cette annĂ©e-lĂ , j’ai intĂ©grĂ© le bateau Olympique. Ce dernier n’avait pas rĂ©alisĂ© de bonne performance aux Jeux de 2004. Je suis arrivĂ© avec toute ma fougue, mon insouciance et ma confiance. Ça a notamment permis aux autres rameurs de reprendre confiance en eux. On a gagnĂ© toutes nos courses cette saison-lĂ  et on est devenus champions du monde au Japon. J’avais Ă©tĂ© champion du monde Junior deux ans auparavant, champion du monde dans un bateau non Olympique un an auparavant, et je remportais alors un troisième titre de champion du monde ! Il y avait en plus une ambiance exceptionnelle dans le bateau.

Pour finir, que deviens-tu depuis l’arrĂŞt de ta carrière dĂ©but 2020 ?

Je suis kinĂ© ostĂ©opathe Ă  mon compte. Je viens de devenir Papa d’une petite Victoria, qui a sept mois. Je suis aussi prĂ©sident de mon club de sport Ă  Lyon depuis 2017. Je gère donc trois activitĂ©s.

Je pense que je vais progressivement lâcher l’activitĂ© de prĂ©sidence si je trouve quelqu’un pour prendre le relais car ça prend du temps et de l’Ă©nergie. Je resterai dans le club mais je cherche Ă  lever un peu le pied. Il est Ă  Lyon alors que j’habite dĂ©sormais Ă  DĂ©cines. Cela prend environ 25 minutes de route Ă  chaque fois pour y aller. C’est un peu contraignant pour aller ramer !

Merci beaucoup Franck pour cette interview et bravo pour ta carrière !

Crédits photo 2 : AFP

La carrière de Franck Solforosi en quelques lignes :

Franck Solforosi remporte le titre de champion du monde du huit poids léger en 2004. Il passe ensuite en quatre sans barreur poids léger. Il devient champion du monde en 2005 et vice-champion du monde en 2006 et en 2007. Lors des Jeux Olympiques de Pékin 2008, il se classe 4e.

Il enchaîne ensuite plusieurs Championnats du monde (4e en 2009, 7e en 2010, 10e en 2011, 4e en 2013 et 2014) et remporte le bronze en 2015. Aux Championnats d’Europe, il remporte l’or en 2009, le bronze en 2013 et 2014, et l’argent en 2015. Il termine 7e des Jeux Olympiques de Londres 2012.

Lors des Jeux Olympiques de Rio 2016, il décroche la médaille de bronze (avec ses coéquipiers Thomas Baroukh, Guillaume Raineau et Thibault Colard). Il met un terme officiel à sa carrière en 2020. Aujourd’hui âgé de 41 ans, Franck Solforosi est kiné ostéopathe.

drapeau olympique Participations aux Jeux Olympiques de Pékin 2008, Londres 2012 et Rio 2016

medaille Médaillé de bronze aux Jeux Olympiques de Rio 2016 (quatre de pointe sans barreur poids léger)

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