Interview de Roger Legeay

(cyclisme)

Si vous aimez le cyclisme, son nom et son visage vous disent certainement quelque chose. Manager de l’Ă©quipe cycliste CrĂ©dit Agricole pendant dix ans, ancien coureur professionnel, Roger Legeay est une figure emblĂ©matique du cyclisme français. Dans cet entretien exclusif pour interviewsport.fr, il revient sur la fermeture de son Ă©quipe l’annĂ©e dernière, mais aussi sur les grands moments de sa carrière de coureur et de dirigeant.

Roger, le Tour de France 2009 s’est achevé il y a peu, marqué par de très bonnes performances des ex-coureurs du Crédit Agricole (Hushovd, Le Mevel, mais aussi Wiggins, Fédrigo etc…). On imagine que cela doit vous faire plaisir, mais aussi vous amener une touche de regret de ne pas avoir pu continuer l’aventure ?

« Cela me fait plaisir, oui… J’ai surtout suivi le Tour de France à partir des anciens coureurs de l’équipe. C’est sûr que j’ai suivi Hushovd, Le Mevel, Kern, Pauriol, Rolland, Lemoine, Hivert, Renshaw, et des anciens comme Fedrigo. J’ai suivi le Tour à partir de ces garçons là, et j’ai eu de la chance car tous les jours, il y avait un intérêt avec mes anciens coureurs, donc c’est sûr que ça me fait plaisir. L’an dernier, je disais qu’on était une équipe du présent, notamment avec Hushovd et il l’a démontré, mais aussi une vraie équipe d’avenir : c’est surtout ça qui était frustrant… Avec les Pauriol, Kern, Rolland, Le Mevel etc, on avait une vraie équipe d’avenir. J’étais frustré l’an dernier et on en a eu la démonstration cette année : c’est sûr qu’on aurait été cette année une grande équipe du Tour de France, puisque même sans mettre obligatoirement tous les résultats bout à bout, on aurait fait vraiment des grands résultats sur le Tour. »

Vous avez été coureur professionnel de 1973 à 1982… Quel est votre meilleur souvenir en tant que coureur cycliste ?

« En tant que coureur cycliste, moi j’étais un équipier. J’ai fait toutes les grandes courses du monde, notamment le Tour de France évidemment, avec plusieurs participations. Il y a aussi mes deux sélections aux Championnats du monde car à l’époque ce n’était pas facile d’être sélectionné, et avoir participé à deux Championnats du monde en Equipe de France, c’est vraiment de grands souvenirs… Il y a seulement dix places pour être en équipe de France, donc je peux les savourer ! Et puis évidemment il y a mes participations au Tour de France. J’ai fini sept Tour de France. C’était une belle aventure puisqu’à l’époque, il n’y avait pas beaucoup d’argent, donc pour ceux qui pratiquaient, c’était vraiment une aventure humaine. »

Puis vous êtes devenu directeur sportif. Comment s’est effectuée cette reconversion ?

« Moi, j’étais chez Peugeot. J’ai fait mes quatre dernières années dans la grande équipe Peugeot, c’était la grande équipe internationale du moment. Dans mes grandes satisfactions, il y a le fait d’avoir été sélectionné dans tous les grands rendez-vous, que ce soit le Tour d’Italie ou le Tour de France, et donc j’étais un peu capitaine de route à l’époque, dans les années 1980, 1981, 1982. Quand Maurice de Muer a pris sa retraite à 60 ans, il y avait une place vacante, et j’avais toujours dit que s’il y avait une possibilité d’intégrer la direction sportive, j’étais vraiment très intéressé. D’ailleurs, j’avais encore un contrat de coureur en 1983, et en cours de contrat, j’ai pris la décision de prendre la place laissée vacante par Maurice de Muer, et de mettre les pieds à l’étrier. C’était un vrai choix à 32 ans : j’avais fait dix ans de professionnel donc je pense que j’avais fait le tour du problème, et c’est moi qui ai choisi d’être directeur sportif. C’était une grande satisfaction, c’était mon choix un moment donné d’arrêter ma carrière et de prendre la direction sportive, mais en tant qu’adjoint. C’était toujours au jour le jour, ou année par année, donc rien n’était écrit sur ce qui allait se passer après. »

Vous avez dirigé de nombreux coureurs… Quels sont ceux qui vous ont le plus marqué ?

« Ceux qui m’ont le plus marqué ? Evidemment, il y en a plusieurs… Il y a Duclos-Lassalle, qui a gagné Paris/Roubaix, Greg Lemond, certainement le plus avec le Tour de France, et puis Chris Boardman, avec ses contre-la-montre, ses prologues, ses Championnats du monde, ses Jeux Olympiques, ses records de l’heure, et Thor Hushovd. J’ai eu vraiment à suivre des grands coureurs au niveau international, dans des styles différents : classique sur Paris-Roubaix avec Duclos-Lassalle, Greg Lemond vainqueur du Tour, et puis Boardman qui a fait quelques choses de magnifique, des records de l’heure, des prologues du Tour… Et la chasse au maillot vert, c’étaient vraiment des choses très intéressantes ! »

Pourriez-vous dégager un meilleur souvenir en tant que directeur sportif ?

« Ce sont des choses très très fortes, évidemment : le Paris-Roubaix deux fois, le record de l’heure, qui est pour moi un exploit sportif total et une référence, et évidemment le Tour de France, même si c’est par coureurs interposés… Avoir dirigé Greg Lemond, un coureur qui peut gagner le Tour de France, c’est-à-dire la plus grande course au monde, évidemment c’est le souvenir le plus fort. Mais le Tour de France, c’est sur trois semaines, ça se peaufine et ça s’apprécie jour après jour, avec du suspense sur trois semaines. Paris/Roubaix ou le record de l’heure, c’est sur le moment. »

Et au contraire, un plus mauvais souvenir ?

« Mon plus mauvais souvenir, c’est la chute de Saul Raisin et son hospitalisation (En 2006, ce coureur américain a lourdement chuté sur une étape du Circuit de la Sarthe et a été plongé dans le coma suite à un grave traumatisme crânien, ndlr)… Maintenant, ça va mieux. J’ai toujours dit que j’ai fait ce métier de manager d’équipe et de directeur sportif pour que les « gamins » viennent dans notre équipe pour faire du sport, pas pour s’abimer. C’est vraiment mon plus mauvais souvenir. »

Faute de repreneur, et après 10 années en partenariat avec le Crédit Agricole, vous avez dû fermer la structure du Vélo Club de Paris… Comment avez-vous procédé pour cette fermeture ?

« Les grandes Ă©tapes, c’est Ă©videmment la dĂ©cision finale de se dire « je n’ai pas trouvĂ© de partenaire ». A partir de lĂ , il faut mettre en place la partie juridique, sociale et comptable… Ca, ça s’est fait au 15 octobre. Et donc il fallait commencer les procĂ©dures de licenciements. Pour les coureurs et le personnel qui Ă©taient en contrat Ă  durĂ©e dĂ©terminĂ©e, Ă©videmment les contrats n’ont pas Ă©tĂ© renouvelĂ©s. Après, pour tout le personnel qui Ă©tait lĂ  depuis une trentaine d’annĂ©es, il s’agissait de procĂ©dures de licenciements. Et puis en mĂŞme temps, c’était la vente de tout. Une sociĂ©tĂ© de cinquante salariĂ©s, c’est Ă©norme en termes de camions, de bus, de vĂ©los… On a tout vendu. Et donc on a passĂ© l’hiver et le dĂ©but de l’annĂ©e Ă  cela. Il y a eu la vente de l’immeuble aussi. Depuis le 30 juin, il n’y a plus du tout de personnel. Il ne reste plus que des affaires courantes, des choses Ă  rĂ©gler. Il n’y a plus d’adresse, il n’y a plus rien… Il y a encore deux ou trois choses Ă  finaliser, et après tout sera retransmis au CrĂ©dit Agricole, et la date de fin vraiment, ce sera le 30 septembre. »

Pour finir, quels sont vos projets pour le futur ?

« J’ai 60 ans. J’ai surtout cherché un partenaire avec un beau projet, avec une belle équipe. Mais je n’ai pas trouvé. Il faut quand même en être conscient, je n’ai pas trouvé de partenaire l’an dernier. Même si j’ai toujours cherché un petit peu depuis le début de l’année, il faut être réaliste : je crois que ce sera très difficile aujourd’hui de repartir, même si c’est vrai que je pense qu’on a le savoir faire, que j’ai des collaborateurs qui sont prêts à repartir avec moi dans l’instant, des coureurs aussi qui sont aussi prêts à partir dans l’instant. Par contre là on voit bien, il n’y a pas de gros sponsor qui arrive, et on voit bien aussi ceux qui sont là et qui cherchent. Agritubel n’en a pas trouvé. On est vraiment dans un contexte qui est très difficile. Et donc en projet aujourd’hui, je n’en ai pas vraiment, si ce n’est sans doute ma retraite. »

Merci beaucoup Roger pour votre disponibilité, et pour toutes ces belles émotions sur les routes du Tour !

La carrière de Roger Legeay en quelques lignes :

Coureur amateur de 1967 à 1972, Roger Legeay devient professionnel en 1973. Au cours de sa carrière cycliste, il porte les couleurs de plusieurs formations, notamment celles de la grande équipe Peugeot entre 1979 et 1982. Il remporte 19 victoires et participe à sept Tours de France.

En 1983, Roger Legeay arrête sa carrière de coureur et devient directeur sportif adjoint, puis directeur sportif de Peugeot, Z, Gan, et entre 1998 et 2008 du Crédit Agricole. Ayant dirigé des coureurs de talent tels Lemond, Boardmann ou plus récemment Voigt, O’Grady, Moreau ou Hushovd, il a aussi été président de l’association des directeurs sportifs.

A la fin de la saison 2008, le Crédit Agricole se retire de la compétition. N’ayant pas trouvé d’autre sponsor, Roger Legeay doit fermer la structure de son équipe, le Vélo Club de Paris.

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