Interview de Maryse Ewanjé-Epée

(athlétisme, journaliste sportive)

L’interviewée de cette semaine a deux raisons d’être sur ce site : en tant qu’ancienne championne d’athlétisme, plus précisément de saut en hauteur, et aussi en tant que journaliste sportive. Quatrième des Jeux Olympiques en 1984, actuellement sur RMC info et Orange Sport, Maryse Ewanjé-Epée a eu la gentillesse de répondre à quelques questions pour interviewsport.fr.

Maryse, dans quelles conditions avez-vous commencé l’athlétisme ?

« J’avais huit ans, j’étais tout simplement à l’école près de Clermont-Ferrand, et j’étais en garderie sportive tous les après-midi, donc on faisait à peu près tous les sports, notamment le basket et l’athlétisme, et c’est ce qui m’a plu le plus. Ensuite, je suis redescendue à Montpellier : en CM2 je n’avais pas de sport, donc j’ai recommencé en rentrant au collège à onze ans… Je faisais du basket, de la gym et de l’athlétisme, et j’ai fait les trois pendant quelques années. Bon, il était assez évident, même si je rêvais d’être plutôt Nadia Comaneci que je n’avais pas vraiment le physique pour, donc j’ai rapidement laissé tomber… Quant au basket, j’étais nulle, tout simplement ! Je courrais plus vite que les autres et je sautais plus haut que tout le monde, mais j’étais incapable de mettre un panier ! De plus, dans les tournois, je n’étais pas capitaine, donc quand on gagnait, je n’avais pas la coupe, ce n’était pas marrant ! Du coup, je me suis rapidement tournée vers l’athlétisme, et j’ai été repérée par la femme de mon futur entraîneur de club, qui m’a conseillée d’aller voir au club. Je m’y suis inscrite rapidement. »

Et comment en êtes vous arrivée au saut en hauteur ?

« Le saut en hauteur est arrivé beaucoup, beaucoup plus tard ! Quand je suis rentrée au club, mon entraineur était Dominique Biau et il était plutôt pro-épreuves combinées… De toute façon, tous les enfants qui rentraient au club devaient choisir au moins un saut, une course et un lancer, donc j’ai vraiment fait de tout ! Je n’étais pas spécialement attirée par la hauteur en fait… Moi, je voulais vraiment faire des haies et du saut en longueur, donc j’ai commencé par ça et puis rapidement les épreuves combinées. D’ailleurs, j’ai été championne de France dans les petites catégories sur les haies. J’ai même eu un record de France sur cette épreuve en cadettes. La même année, j’étais parmi les meilleures Françaises en saut en longueur, et j’ai été championne de France à l’heptathlon. En cadettes, on voulait me surclasser en junior, mais mon entraîneur, assez intelligemment, a refusé. Il m’avait dit « on te fera faire de grandes compétitions quand tu seras capable de remporter le titre de championne de France senior ». Et en junior, ça a été le cas puisque j’ai été championne de France senior pour la première fois alors que j’étais encore junior. J’ai été sélectionnée aux championnats d’Europe junior à l’heptathlon… et pendant l’heptathlon, j’ai battu le record de France junior-espoir et senior du saut en hauteur ! Ca s’est donc fait naturellement, mais je n’ai pas abandonné les épreuves combinées, j’ai toujours continué. »

Quel est le meilleur souvenir de votre carrière ?

« Comme je suis quelqu’un d’assez exigeant, je n’en ai pas beaucoup, parce-que je n’étais jamais vraiment satisfaite de ce que je faisais. Je dirais que mon meilleur souvenir a été mon avant dernier record de France, à 1 m 95, parce-que c’est une barrière : tous les 5 cm, c’est assez important. Pas 1m 90 car je n’ai pas été la première Française à le faire, donc je m’en voulais beaucoup ! Et 1m 95, parce-que ça s’est fait à Rieti, en Italie, dans une compétition où il y avait notamment Sara Simeoni, qui était une de celles que j’admirais le plus. Et puis, c’est l’année où j’ai fêté mes vingt ans, donc c’est sûr que ça m’a marqué ! »

Et le pire ?

« Il y en a beaucoup. Comme je le dis, je suis plus négative que positive sur ma carrière. Je dirais que le pire souvenir, ça a été le Championnat d’Europe de 1990, où ma sÅ“ur a été championne d’Europe et où je n’avais jamais été aussi forte de ma vie… et en fait tellement forte que j’avais beaucoup maigri dans les dernières semaines et que j’étais arrivée à un poids de forme qui n’avait jamais été le mien auparavant. Cela a complètement changé mes marques en hauteur. Moi, j’avais une confiance en moi énorme… A l’échauffement, je passe 1 m 90 sur deux foulées, donc autant dire que j’étais vraiment au top ! Et en fait, quand la compétition a commencé, j’avais un peu trop frimé cette fois- ci… parce-que moi, j’aimais bien bluffer, faire des sauts en ciseaux, des sauts sur deux appuis, des sauts sans élan, etc, pour montrer aux autres que j’étais forte… et là, j’avais tellement bluffé que je n’avais pas fait de course d’élan complète, si bien que quand je me suis retrouvée sur ma course d’élan complète, j’étais à chaque fois un mètre trop près. J’arrivais sur le mauvais pied, et je me suis fait sortir à 1m 75… C’était la « cata », car je pensais que j’aurais dû être championne d’Europe ce jour-là.

C’est cela qui est difficile en saut en hauteur d’ailleurs, car cela fait partie des épreuves où en général, quand on est très en forme, on se loupe parce-que ça change les marques, ça change complètement l’approche… Sur un 100m ou un 400m, quand on est en forme, c’est très rare qu’on se loupe, à moins de se rater au départ… Au saut en hauteur, c’est assez souvent qu’on se plante ! Et c’est quelque chose de très frustrant, car presqu’à chaque fois que j’ai battu mon record, c’était un jour où je ne me sentais pas très bien en fait. J’étais beaucoup plus vigilante techniquement. »

Vous avez participé à deux éditions des Jeux Olympiques, en 1984 (4ème place) et en 1988 (10ème). Quels souvenirs en gardez-vous ?

« En 1984, j’avais 19 ans, c’étaient mes premiers Jeux. Je me suis marrée tout le temps. Je suis partie au dernier moment car mon entraîneur, qui savait que j’étais capable de me beaucoup me disperser, ne voulait pas que je rejoigne l’équipe de France trop tôt et que je fasse la fête, donc je suis partie quatre jours avant mes épreuves… J’ai regardé la cérémonie d’ouverture en France et mon entraîneur me faisait gagner le décalage en me faisant coucher une heure plus tard tous les soirs. Donc c’était très particulier car j’étais debout la nuit et on s’entrainait pour s’habituer sous la chaleur. J’ai trouvé cette expérience vraiment marrante et je n’ai pas vraiment profité des Jeux parce-qu’à 19 ans, on est complètement tourné sur soi-même : il n’y avait que moi qui m’intéressait, en fait ! Je suis arrivée en compétition, on était très nombreuses en qualifications, on était quarante. Je devais être parmi les dernières qualifiées et en fait, avec la prétention d’une gamine de 19 ans, j’ai regardé la liste et j’ai barré toutes les filles de plus de 25 ans en me disant « elles sont vieilles, elles n’y arriveront pas »… Du coup, je n’avais pas du tout peur, je n’arrêtais pas de rigoler ! J’avais un doudou sur moi sur le stade, un espèce de Félix le Chat, que je montrais à tout le monde, ce qui fait que les spectateurs ont pris un peu cause pour moi, d’autant plus que j’étais d’ailleurs la seule noire du concours de saut en hauteur. Je n’arrêtais pas de faire la folle, c’était la fête. Donc j’ai tout passé au premier essai, je me suis retrouvée en tête après les qualifications. J’ai tout passé au premier essai en finale aussi, et finalement j’ai craqué au tout dernier moment, quand j’ai réalisé que j’étais en train de gagner une médaille. Donc j’ai fini quatrième derrière trois filles qui avaient 32, 32 et 28 ans, et j’ai pris une énorme claque ! Ca a été un peu le drame de ma vie, après je ne voyais plus du tout les choses de la même façon !

Et puis quatre ans après, c’est différent : j’étais une femme, je venais juste de me marier, mon mari était avec moi, j’avais payé le voyage à mon entraîneur également, et ma mère m’avait fait la surprise d’être là. Donc il y avait des enjeux qui n’étaient plus du tout les mêmes, je dirais que j’avais le trac, alors qu’en 1984, je n’avais pas le trac du tout. Par contre, j’ai aussi plus profité des Jeux à 24 ans, parce-que j’avais conscience que c’était exceptionnel, alors qu’à 19 ans, pas du tout. Pour moi, on m’aurait dit « tu vas faire les championnats départementaux », c’était pareil. De toute façon, moi, quand j’allais dans une compétition, c’était pour la gagner. Quatre ans après, j’avais la sensation de quelque chose qui pouvait ne pas durer, donc j’avais été voir d’autres épreuves et j’étais beaucoup plus dans l’admiration des autres. »

Parlez-nous de votre fin de carrière et de votre reconversion : les aviez-vous préparées ?

« Oui. On se prépare, après ce qu’on trouve ne ressemble pas forcément à ce qu’on avait préparé. Moi, j’ai fait de l’athlétisme à une époque où on ne gagnait pas vraiment sa vie avec, ou en tout cas si on la gagnait, c’était très éphémère, et sûrement pas avec des sommes qui permettent d’en vivre dix ans ! Je n’ai jamais arrêté mes études et j’ai commencé à travailler à l’âge de 21 ans : je travaillais à mi-temps, et le reste du temps je m’entraînais. Donc voilà, oui bien sûr, j’ai préparé ma reconversion puisque j’ai un brevet d’état d’entraîneur, j’ai un DESS de marketing et communication, et je suis diplômée en journalisme. »

Depuis 2003, vous animez des émissions sur RMC info, notamment aujourd’hui avec le Moscato Show. Qu’est-ce-qui vous plait dans ce métier ?

« Alors d’abord je précise : je ne travaille pas depuis 2003 dans les médias, je travaille depuis que j’ai 15 ans. Donc même si aujourd’hui cela se voit, j’ai en fait commencé à piger à l’âge de 15 ans, d’abord en presse écrite. Donc j’ai toujours écrit, j’ai même écrit sous un nom d’emprunt car ça m’énervait qu’on dise « la championne qui veut être journaliste »… moi, je ne rêvais pas d’être journaliste, je faisais mes études pour ça ! Je suis entrée ensuite en 1992 à Eurosport alors que j’étais encore athlète. Là, je pigeais, j’ai fait mes classes aux débuts de cette chaine qui en France n’était pas encore connue. On travaillait dans des conditions très difficiles, avec 14 heures de retransmissions par jour, notamment sur les Jeux Olympiques de Barcelone, et ensuite quand j’ai quitté Eurosport, j’ai été embauchée par Canal+ : en fait, aux JO de 96 et 2000, c’est moi qui faisais les interviews à l’arrivée. Donc je n’ai jamais arrêté en fait, j’ai commencé à la radio en 2003, mais par contre les médias, j’ai toujours fait ça. »

Et donc dans vos émissions sur RMC info, y-a-t-il quelque chose qui vous plaît en particulier, ou alors c’est tout simplement le fait d’être journaliste que vous aimez ?

« C’est le fait d’être journaliste ! Moi je m’en moque que ce soit le sport, les voitures, la musique ou la santé ! D’ailleurs, j’ai eu beaucoup de mal et je me suis pas mal battue avec mes chefs de rédaction, car je leur disais « mais vous savez, je sais faire autre chose que de l’athlétisme ! ». Et c’est vrai que moi je suis arrivée dans la grande vague des consultants (en 1995, il n’y avait pas de consultants, en 2000, il y en avait plein), donc j’ai dû batailler comme pas possible pour montrer que j’étais capable de commenter de la boxe, de l’aviron… Tout le monde était un peu sceptique, ce qui fait qu’en 2004 j’ai monté ma propre société : je faisais des émissions qui étaient diffusées dans quatorze pays en Afrique, et également aux Antilles, aux Caraïbes et à Paris. Je me suis mise à faire des émissions de santé, de musique, de sport… Notamment, je co-animais une émission de sport en général et de foot en particulier avec José Touré. Donc c’est un peu au fur et à mesure que tout le monde a commencé à savoir cela que l’on a commencé à me donner des responsabilités différentes et que je suis arrivée sur le Moscato Show. L’été dernier, par exemple, aux Jeux Olympiques, en plus de l’athlétisme, j’ai commenté la natation, la boxe et j’ai même commenté la lutte ! »

Un petit mot sur Ya Foye Events, la société que vous avez crée ?

« Oui, c’est justement de ça que j’étais en train de parler. Ya Foye Events, c’était un peu pour retrouver mes origines africaines. Moi, je suis Camerounaise par mon père, Française par ma mère, Espagnole par mon grand-père, très proche de l’Espagne parce qu’on vivait dans le Sud de la France. J’ai été un peu coupée de l’Afrique car mes parents étaient séparés. Donc voilà, j’avais besoin de retrouver mes racines, et je voulais trouver un moyen de travailler avec l’Afrique sans être une touriste, c’est-à-dire pouvoir aller en Afrique en me disant « je fais quelque chose pour ce continent, ou en tout cas je travaille avec lui ». Ca a été une superbe occasion, j’ai mis les pieds en Afrique pour la première fois en 2005 et j’ai beaucoup voyagé entre 2005 et l’année dernière. Bon actuellement, la société est un peu entre parenthèses car en France il n’y a pas de budget pour la diversité malgré ce qu’on nous fait croire… On a fait plus de 300 émissions, des émissions géniales où je me suis éclatée, puisqu’on a reçu beaucoup de monde ! Du côté sportif, tous les sportifs afros qui sont basés en France ou qui passaient par Paris passaient par notre émission !

Et puis là, je suis passée à un autre projet totalement différent, en plus du Moscato Show. Donc c’est vrai que j’ai mis entre parenthèses cette activité de Ya Foye, et je suis sur un projet personnel, qui n’a vraiment rien à voir avec le sport : je monte une exposition d’astrologie et de graphisme, c’est-à-dire que je suis en train de préparer des portraits de personnalités pour une exposition qui aura lieu au mois de février. Cela me prend beaucoup de temps. Vous pourrez allez voir sur le site www.cielmonmoi.com, il y aura les différentes informations. »

Pour finir, quel regard portez-vous sur l’athlétisme français aujourd’hui ?

« Le regard de quelqu’un qui aime le sport ! C’est le même que celui que j’ai sur le foot ou sur le judo ! Moi, je suis toujours emballée par la performance, par l’énergie que peuvent mettre les athlètes. Je suis parfois déçue de voir que l’athlétisme a encore du mal au plus haut niveau et que les athlètes ont tendance à rater leurs objectifs après avoir tellement travaillé… Mais mon regard est toujours aussi enthousiaste, et j’ai beaucoup d’admiration pour les athlètes ! Pas pour tous évidemment, j’ai mes chouchous, souvent les jeunes d’ailleurs car ils ont la fraicheur et le culot que je pouvais avoir quand j’ai commencé, et puis forcément après 25 ans, on se rend compte qu’il y a toujours cette phase, qui fait qu’on prend conscience de ce que l’on fait, qui gâche un peu le parcours, mais oui je suis très admirative ! »

Merci Maryse pour votre disponibilité et vos précieux conseils concernant mon site !

La carrière de Maryse Ewanjé-Epée en quelques lignes :

Maryse Ewanjé-Epée obtient son premier titre de championne de France de saut en hauteur en 1982. Deux ans plus tard, elle participe à ses premiers Jeux Olympiques, à Los Angeles. Alors âgée de 19 ans, elle termine le concours à la quatrième place. Cette même année, elle remporte aussi la médaille d’argent des championnats d’Europe en salle. En 1988, elle obtient la dixième place aux Jeux Olympiques de Séoul.

Au cours de sa carrière sportive, elle remporte 17 titres de championne de France (indoor et outdoor, son dernier sacre datant de 1996), et établit plusieurs records de France, notamment la marque de 1 m 96, qui restera plus de 20 ans sans être battue.

En dehors du sport, Maryse Ewanjé-Epée est mère de quatre enfants, et journaliste. Elle a commencé à écrire alors qu’elle était encore athlète et aura travaillé notamment pour Eurosport, Canal+, RMC info ou France 4. Actuellement à l’antenne du Moscato Show sur RMC, et consultante sur Orange Sport, elle prépare aussi une exposition d’astrologie et de graphisme.

Pour connaître les coups de coeur et les projets de Maryse, visitez son blog : mais-tisse.com

Un commentaire pour cet article
  1. Lors des championnats du monde à Bucarest j’ai découvert une trés bonne commentratrice

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