Interview d’Erwann Le PĂ©choux
(escrime)

Champion Olympique en 2021 Ă  Tokyo, vice-champion Olympique en 2016 Ă  Rio, quatre fois champion du monde et d’Europe : le palmarès d’Erwann Le PĂ©choux en fleuret par Ă©quipe est impressionnant. Il nous dĂ©voile notamment les coulisses du titre Olympique de Tokyo et l’Ă©tat d’esprit de l’Ă©quipe de France.

Erwann, tu as remportĂ© la mĂ©daille d’argent du fleuret par Ă©quipe aux Jeux Olympiques de Rio 2016. A l’époque, cette mĂ©daille Ă©tait-elle une grande satisfaction ou bien une dĂ©ception car la France a dominĂ© une grande partie de la finale ?

Je pense que c’est l’une des plus grandes dĂ©ceptions de ma carrière. On en a reparlĂ© rĂ©cemment avec Franck Boidin, notre entraĂ®neur de l’époque avec qui je travaille dĂ©sormais au Japon. On ne voyait pas comment le match pouvait nous Ă©chapper et on s’est retrouvĂ© derrière en deux relais ! On ne l’a pas vu venir du tout. On avait effectuĂ© une super journĂ©e mais on a perdu la finale alors qu’on devait la gagner (la France a menĂ© 25-16 avant de perdre 41-45, ndlr). Cela reste une très grande dĂ©ception !

Lors des Jeux Olympiques de Tokyo en 2021, tu es Ă©tĂ© sĂ©lectionnĂ© en tant que remplaçant. Comment as-tu vĂ©cu ce rĂ´le ? Avais-tu des garanties de pouvoir tirer par Ă©quipe ?

Encore une grande dĂ©ception ! J’ai mis du temps Ă  me remettre de l’annonce de la sĂ©lection car je ne m’y attendais pas trop. Que je le mĂ©rite ou pas, c’est un autre dĂ©bat. Les entraĂ®neurs ont fait un choix et il m’a fallu du temps pour le digĂ©rer. Ils m’ont dit : « ne t’inquiète pas, tu tireras Â». J’ai rĂ©pondu que si on me faisait entrer uniquement pour un souci ou pour les matches de classement, je prĂ©fĂ©rais qu’ils ne me sĂ©lectionnent pas et que je n’aille pas aux Jeux. Je voulais tirer et apporter quelque chose Ă  l’équipe.

Après, on en a parlé avec les gars de l’équipe. On pensait tous que la meilleure équipe possible serait de m’avoir en finisseur, poste que j’occupais depuis vingt ans en équipe de France. Ils m’ont dit qu’ils avaient besoin de moi.

Environ trois semaines avant de partir Ă  Tokyo, on a effectuĂ© un stage Ă  Aix-en-Provence. On s’est rĂ©uni tous les quatre pour rĂ©flĂ©chir Ă  ce qu’on allait faire. Ils m’ont dit qu’il fallait que je rentre pendant la compĂ©tition. J’ai alors expliquĂ© que je ne voulais pas entrer contre l’Italie en demi-finale dans le cas oĂą ça se passerait mal, car je n’aurais pas tirĂ© l’individuel et je ne serais donc pas dans le rythme. Je ne me sentais pas de rentrer directement et d’apporter un truc contre de tels tireurs. Je prĂ©fĂ©rais rentrer en quarts-de-finale contre l’Egypte pour faire un match de chauffe et Ă©vacuer la pression. En effet, les Jeux Olympiques sont toujours un Ă©vĂ©nement Ă  part, mĂŞme si j’ai participĂ© Ă  cinq Ă©ditions. Entrer sur la piste pour un match censĂ© ĂŞtre facile contre l’Egypte me permettrait d’être mieux pour la demi-finale. Cela signifiait qu’un autre tireur ne ferait peut-ĂŞtre qu’un ou deux relais sur la compĂ©tition par Ă©quipe. Tous les trois m’ont dit : « bien Ă©videmment, aucun problème ! Â». Enzo Lefort Ă©tant champion du monde individuel en titre, Maxime Pauty et Julien Mertine m’ont tous les deux annoncĂ© que le but Ă©tait la mĂ©daille, qu’ils avaient besoin de moi et qu’ils me laisseraient la place sans problème.

On est ensuite allĂ©s voir les entraĂ®neurs pour leur expliquer qu’on s’était rĂ©unis et qu’on avait dĂ©cidĂ© cela. Leur première rĂ©action a Ă©tĂ© : « ah, on n’a pas notre mot Ă  dire, on est coaches mais on ne dĂ©cide pas ! Â». Puis ils ont enchaĂ®nĂ© : « d’accord, mais si cela se passe mal, c’est votre problème ! Â».  On a rĂ©pondait qu’on l’assumait.

C’était un gros pari : aux Jeux, on ne peut plus faire sortir celui qui est entrĂ©. S’il y avait eu une blessure en quarts-de-finale ou en demi-finale, c’était fini pour nous ! Nos entraĂ®neurs n’étaient pas pour cette stratĂ©gie. Mais on se connaissait bien, on Ă©tait solidaires et on a tentĂ© le truc. C’est rare de prendre autant de responsabilitĂ©s en tant que tireur !

« Entre chaque touche, on se regardait et on se faisait des petits sourires »

Comment s’est passĂ©e ton entrĂ©e dans la compĂ©tition par Ă©quipe ?

Je suis donc entré en quarts-de-finale contre l’Egypte. On pensait que ce serait un match facile, mais il a été dur. Je suis entré à un moment où on n’était pas si bien que cela (la France était menée pendant la moitié du match, ndlr). J’ai gagné mon relais 5-1 et j’ai donné de l’avance à l’équipe. Cela s’est ensuite bien terminé.

On pensait rencontrer les Italiens en demi-finale mais ils ont Ă©tĂ© battus par le Japon. On considĂ©rait que les Japonais ne nous causeraient pas trop de problème, mais on s’est fait peur. En finale, on pensait que cela serait compliquĂ© contre la Russie mais on les a finalement largement battus. Rien ne s’est donc passĂ© comme prĂ©vu ! Mais la fin Ă©tait top !

Tu es devenu champion Olympique par Ă©quipe Ă  Tokyo et tu Ă©tais le dernier relayeur. Raconte-nous comment tu as vĂ©cu cette finale de l’intĂ©rieur ?

Très bien ! (rires) Quand je suis rentrĂ© pour le dernier relais, on avait 16 touches d’avance et j’étais face Ă  un tireur que j’aimais plutĂ´t bien tirer. En montant sur la piste, je me suis dit qu’on allait ĂŞtre champions Olympiques. Ce n’était pas possible de perdre un tel Ă©cart en 3 minutes. Je savais que c’était mon dernier match et que j’arrĂŞtais ma carrière. J’avais vĂ©cu trois derniers mois difficiles, notamment avec les sĂ©lections. Je ne parlais plus Ă  mes entraĂ®neurs, mais je m’entendais très bien avec les gars de l’équipe. Entre chaque touche, on se regardait et on se faisait des petits sourires, ce qu’on ne fait jamais d’habitude. Il ne pouvait tellement rien nous arriver que j’ai vraiment savourĂ© ce dernier match. Ça reste un beau souvenir !

De façon plus globale, comment as-tu vĂ©cu les JO de Tokyo, qui ont eu lieu Ă  huis-clos Ă  cause du covid-19 ?

D’un cĂ´tĂ©, il y avait la dĂ©ception de ne pas avoir des Jeux habituels, d’autant qu’on adore tous le Japon et qu’on savait qu’ils allaient organiser un Ă©vĂ©nement fantastique. J’avais prĂ©vu de faire venir ma famille pour mes derniers Jeux. Quand tu tires dans une salle vide, c’est toujours Ă©trange ! On Ă©tait donc un peu déçus de ce cĂ´tĂ©-lĂ .

Mais d’un autre cĂ´tĂ©, on Ă©tait tellement soulagĂ©s que ces JO aient lieu ! On s’est dit qu’on avait de la chance. C’était presque inespĂ©rĂ© dans le contexte de l’époque. Et puis on a l’habitude de faire des compĂ©titions avec peu de public, donc on s’est dit que c’était une compĂ©tition normale avec les mĂŞmes arbitres, les mĂŞmes adversaires et les mĂŞmes Ă©quipes que d’habitude. On Ă©tait contents d’être lĂ  et de profiter, indĂ©pendamment du rĂ©sultat qui est arrivĂ© après.

MĂŞme si tu n’y as pas obtenu de mĂ©dailles, gardes-tu quand mĂŞme de bons souvenirs de tes trois premiers Jeux Olympiques Ă  Athènes, PĂ©kin et Londres ?

Humainement, oui. Lors de la cĂ©rĂ©monie d’ouverture Ă  Athènes en 2004, on a dĂ©filĂ© dans le Stade Olympique et on est ensuite arrivĂ©s au milieu du stade, oĂą tous les pays se mĂ©langent dans une forme d’escargot en attendant le spectacle. La France s’est retrouvĂ©e Ă  cĂ´tĂ© de la Suisse. A trois mètres de moi, il y avait Roger Federer, qui Ă©tait dĂ©jĂ  numĂ©ro 1 mondial Ă  l’époque. Je savais qu’il parlait français et je me suis lancĂ© : « bonjour ! Â». On a ensuite passĂ© une vingtaine de minutes Ă  parler de tout et de rien. C’était gĂ©nial ! C’est un souvenir que je garderai pour toujours. J’adore le sport et j’étais content de cĂ´toyer certains sportifs. A la cantine des Jeux, il y a de grandes tables, tu te poses lĂ  oĂą il y a de la place et tu peux discuter avec de nombreux athlètes de nations et de sports diffĂ©rents. J’adore le foot et j’ai eu l’occasion de manger avec l’équipe d’Argentine. J’ai vu Usain Bolt. Humainement, il y a donc eu plein de beaux souvenirs !

Sportivement, par contre, mes trois premiers Jeux Olympiques ont été compliqués. A Pékin en 2008, le fleuret par équipe n’était pas au programme Olympique alors qu’on était trois fois champions du monde en titre (il y avait système de rotation des épreuves par équipe jusqu’en 2020, ndlr). On a donc disputé uniquement une épreuve individuelle, où j’ai perdu d’une touche en quarts-de-finale alors que j’étais dans le top 3 du classement mondial. A Londres en 2012, on avait une belle équipe mais on a perdu en quarts-de-finale contre les Etats-Unis à cause d’un relais qui s’est mal passé (un tireur français a perdu un relais 11-1 alors que la France menait de six touches, ndlr). Je considère qu’on avait une médaille quasiment assurée sur cette compétition vu notre niveau. Je me suis aussi cassé le poignet à Londres et j’ai ensuite eu six mois d’arrêt.

Les Jeux Olympiques de Rio et de Tokyo se sont mieux passés…

Malgré les médailles, ils ont été un peu contrastés. A Tokyo en 2021, c’était top de remporter la médaille d’or. Mais j’ai eu la grosse déception de ne pas tirer en individuel et cela a entraîné une prise de tête avec mes entraîneurs. A Rio en 2016, j’ai perdu 15-14 en individuel après un bon match, sans regret. Par équipe, même si je suis déçu de la finale, la médaille d’argent est quand même belle. Cela faisait trois ans qu’on n’avait pas battu les Italiens et on l’a fait le jour des JO. On aurait signé de suite avant la compétition pour terminer deuxième.

D’ailleurs, j’ai une anecdote sur les JO de Rio. Après la compĂ©tition, je n’étais pas bien Ă  cause du dĂ©roulĂ© de la finale par Ă©quipe. J’ai appelĂ© mon entraĂ®neur de l’époque Franck et je lui ai expliquĂ© mon Ă©tat. Il m’a dit : « mais tu sais qu’on aurait pu perdre contre la Chine en quarts-de-finale ! ». J’ai rĂ©pondu : « comment ça ? Â». Il a expliquĂ© : « on Ă©tait menĂ©s au dernier relais et c’est toi qui a remontĂ© le score ! Â». J’ai poursuivi : « mais non, c’était un match tranquille, on n’était pas menĂ©s ! Â». En fait, il avait raison. Mais je ne me souviens absolument pas de ce match, dont je sais maintenant que j’ai gagnĂ© le dernier relais 6-2. J’étais tellement dans un Ă©tat second et concentrĂ© sur ce que j’avais Ă  faire que j’étais serein, alors qu’on Ă©tait menĂ©s !

« Je pense que la clé de la réussite et de la longévité, c’est vraiment le plaisir ! »

En 2005, 2006 et 2007, tu as Ă©tĂ© trois fois de suite champion du monde par Ă©quipe. Avec le recul, quelle a Ă©tĂ© selon toi la clĂ© d’une telle performance collective ?

Il y a eu un contexte un peu particulier. Sans rentrer dans les détails, les règles de l’escrime ont été changées en 2005 et le niveau global a vraiment chuté. On a mis du temps à s’adapter aux nouvelles règles, et elles ont d’ailleurs été changées de nouveau par la suite car cela devenait quasiment impossible de toucher. Je pense qu’on a bénéficié à l’époque de trois tireurs qui étaient vraiment bons sur ce système-là. Moi, je me suis adapté car j’ai été bon avant, pendant et après ces nouvelles règles. Mais certains n’étaient pas bons avant, sont devenus bons à ce moment-là mais ne se sont pas adaptés quand cela a rechangé.

Il y a eu aussi un petit concours de circonstances : on a gagnĂ© deux fois en prenant l’Allemagne en finale, alors qu’on aurait eu plus de mal contre l’Italie.

Et puis, on avait une équipe qui s’entendait bien, qui marchait bien et dont l’ossature a été gardée pendant des années. Il y a un état d’esprit en équipe de France. On n’est pas les meilleurs individuellement, mais quelque chose se créé et se dégage collectivement. On s’entend bien. On a un état d’esprit qui est différent des autres équipes.

Tu as eu une carrière très longue au haut-niveau, entre ta première mĂ©daille en 2003 aux Championnats d’Europe et le titre en 2021 aux Jeux Olympiques. Qu’est-ce-qui t’a motivĂ© Ă  continuer ta carrière aussi longtemps et comment as-tu fait pour rester performant ?

J’ai tenu longtemps parce que j’aime ça et je me sentais chanceux de faire ce que j’aimais. Je n’aurais jamais pensĂ© pouvoir vivre de l’escrime un jour, et pourtant j’ai pu le faire pendant presque 20 ans, mĂŞme si je n’ai pas gagnĂ© beaucoup d’argent. J’étais content d’aller Ă  l’entraĂ®nement tous les jours. Quand tu aimes ce que tu fais, c’est facile de continuer !

J’ai aussi eu la chance de ne pas m’être blessĂ©. Je suis petit et lĂ©ger. La seule fois oĂą j’ai Ă©tĂ© blessĂ©, c’était Ă  Londres en 2012 et c’était sur un choc. Je n’ai ratĂ© aucune Coupe du monde de ma carrière. J’avais une hygiène de vie plutĂ´t bonne, je ne sortais pas, j’étais assez sĂ©rieux. Je m’entrainais plus que les autres. Mais je pense que la clĂ© de la rĂ©ussite et de la longĂ©vitĂ©, c’est vraiment le plaisir !

Tu as arrĂŞtĂ© ta carrière en 2021 après les Jeux Olympiques de Tokyo et tu es actuellement entraĂ®neur de l’équipe nationale du Japon. Quelles sont selon toi les principales diffĂ©rences entre la France et le Japon ?

Au niveau des infrastructures, il y a une nouvelle salle au Japon qui est exactement la même que celle de l’INSEP. Il y a aussi une salle de musculation, une salle de récupération, des kinés etc… Les Japonais sont venus à l’INSEP, ils ont observés et ils ont fait exactement la même, en mieux car elle est plus moderne et plus propre.

Ce qui est diffĂ©rent, c’est vraiment la culture. Je suis quelqu’un d’entier et je dis ce que pense, mĂŞme quand ça se passe mal. Je peux m’énerver et mĂŞme parfois monter très fort. Au Japon, les gens disent « oui Â» quoiqu’il arrive. Il n’y a aucune opposition en face, mĂŞme quand ils ne sont pas d’accord. Il faut donc rĂ©ussir Ă  sentir le vrai « oui Â» et le « oui Â» pour faire plaisir car ils sont obligĂ©s. C’est très compliquĂ© pour moi car j’ai mes idĂ©es, mais je ne dis pas que j’ai raison. J’essaie de les pousser Ă  me dire des choses, mais pour l’instant ça ne marche pas.

Les Japonais sont des bosseurs. Ils ne trichent pas. Ils ne trouvent jamais une excuse pour rater un entraĂ®nement. Je m’éclate, on a des bons rĂ©sultats et je suis très heureux dans ce rĂ´le !

Merci beaucoup Erwann pour ta disponibilitĂ© et bravo pour ta carrière !

La carrière d’Erwann Le PĂ©choux en quelques lignes :

Pratiquant le fleuret, Erwann Le Péchoux devient champion d’Europe par équipe en 2003. Lors des Jeux Olympiques d’Athènes 2004, il est éliminé en 8e de finale en individuel et en quarts-de-finale par équipe. Il décroche les titres de champion du monde par équipe en 2005, 2006 et 2007 et la médaille de bronze en individuel aux Championnats d’Europe 2007.

Lors des Jeux Olympiques, il atteint les quarts-de-finale en individuel à Pékin en 2008 et les 8e de finale en individuel et les quarts-de-finale par équipe à Londres en 2012. Il remporte en 2014 la médaille de bronze en individuel aux Championnats d’Europe. Il se distingue par équipe aux Championnats du monde (argent en 2011, bronze en 2013, or en 2014) et aux Championnats d’Europe (or en 2014 et en 2015, argent en 2011, 2012 et 2016).

Lors des Jeux Olympiques de Rio 2016, il remporte l’argent par équipe et atteint les huitièmes-de-finale en individuel. En 2019, il obtient par équipe l’or des Championnats d’Europe et l’argent des Championnats du monde. Lors des Jeux Olympiques de Tokyo en 2021, il devient champion Olympique par équipe (avec Enzo Lefort, Julien Mertine et Maxime Pauty). Il met alors un terme à sa carrière, à l’âge de 39 ans. Erwann Le Péchoux est désormais entraîneur de l’équipe nationale du Japon.

drapeau olympique Participations aux Jeux Olympiques d’Athènes 2004, Pékin 2008, Londres 2012, Rio 2016 et Tokyo 2020

medaille Médaillé d’or aux Jeux Olympiques de Tokyo 2020 (fleuret par équipe hommes)

medaille Médaillé d’argent aux Jeux Olympiques de Rio 2016 (fleuret par équipe hommes)

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