Interview de Nantenin KeĂŻta
(handisport)

Championne paralympique du 400 m à Rio en 2016, Nantenin Keïta compte également à son palmarès deux médailles aux Jeux de Pékin et une médaille aux Jeux de Londres. Elle nous explique comment elle a vécu ces grands moments.

Nantenin, tu as participĂ© Ă  tes premiers Jeux Paralympiques en 2008 Ă  PĂ©kin, remportant l’argent du 200 m et le bronze du 400 m. A l’Ă©poque, ces deux mĂ©dailles correspondaient-elles Ă  tes objectifs ?

Non, Ă©videmment ! (rires) Quand on fait une compĂ©tition, on vient clairement pour chercher la mĂ©daille d’or. Ma dernière grande compĂ©tition avant les Jeux Ă©tait les Championnats du monde, oĂą j’avais gagnĂ© les titres du 400 m et du 200 m. Quand je suis arrivĂ©e aux Jeux de PĂ©kin, l’objectif Ă©tait donc la mĂ©daille d’or. Cela ne s’est pas passĂ© comme je l’avais prĂ©vu ! (rires) Mais le bilan Ă©tait quand mĂŞme assez positif car c’étaient mes premiers Jeux et j’apprenais Ă  gĂ©rer un stress diffĂ©rent d’un Championnat du monde. En plus, la concurrente qui a gagnĂ© le 400 m Ă©tait une nouvelle concurrente, que je ne connaissais pas du tout et qui n’était donc pas Ă  mon « tableau de chasse Â» !

Lors des Jeux Paralympiques de Londres 2012, tu as remportĂ© la  mĂ©daille de bronze du 100 m mais tu as terminĂ© cinquième du 400 m. Le fait de louper la mĂ©daille sur le 400 m a-t-il Ă©tĂ© difficile Ă  digĂ©rer ?

Cela a Ă©tĂ© très difficile Ă  digĂ©rer. Mais il y avait un contexte spĂ©cial sur les Jeux de Londres. J’avais Ă©tĂ© opĂ©rĂ©e en 2011 et je n’avais repris les entraĂ®nements qu’en janvier 2012. En 2012, j’ai aussi eu beaucoup de blessures. Et une semaine avant les Jeux, je ne pouvais plus marcher ! J’avais une grosse douleur Ă  la cheville et je suis arrivĂ©e aux Jeux en boitant. Je n’étais mĂŞme pas sĂ»r de pouvoir courir le 400 m. Bien sĂ»r, cela m’a frustrĂ©e car l’objectif Ă©tait de revenir au moins avec une mĂ©daille de bronze sur 400 m, et cela aurait Ă©tĂ© possible si j’avais fait une course intelligente. Mais il y avait un contexte qui pouvait expliquer que j’étais en mĂ©forme.

Tu as remportĂ© la mĂ©daille d’or du 400 m aux Jeux Paralympiques de Rio 2016. On imagine que cela a Ă©tĂ© un grand moment ?

Evidemment, il y a le point final qui est la course et la mĂ©daille d’or. Mais ce qui est important pour moi, c’est tout ce qui s’est passĂ© avant. Il y a eu trois ans d’entraĂ®nements et des choix Ă  prendre pour avoir cette mĂ©daille. J’ai changĂ© d’entraĂ®neur, de lieu d’entraĂ®nement et de lieu d’habitation. J’ai aussi eu une très belle relation humaine pendant ces trois ans, que ce soit avec mon nouvel entraĂ®neur, mes nouveaux collègues d’entraĂ®nement ou l’équipe de France. C’était top !

« J’étais assez stressée parce que je savais que je pouvais gagner mais aussi finir quatrième »

Raconte-nous un peu comment tu as vĂ©cu cette finale de l’intĂ©rieur ?

Lorsque je suis arrivĂ©e sur la finale, j’étais assez stressĂ©e parce que je savais que je pouvais gagner mais aussi finir quatrième. Je sortais d’un 100 m oĂą je n’avais pas su gĂ©rer mon stress et l’enjeu de la course. Initialement, j’arrivais sur le 100 m de Rio en me disant que cela serait tant mieux si ça marchait, mais que ce n’était pas l’objectif. Mais une fois en finale, il y avait finalement la possibilitĂ© d’aller chercher quelque chose. L’enjeu Ă©tait donc plus fort que ce que j’avais prĂ©vu et j’ai fait n’importe quoi : un mauvais dĂ©part et une mauvaise transition. Je n’étais pas sereine pour le 400 m car je me disais que si je n’arrivais pas Ă  appliquer les consignes sur un 100 m, comment pourrais-je le faire sur un 400 m ? A partir du moment oĂą je suis entrĂ©e dans la chambre d’appel, j’étais concentrĂ©e sur les consignes que mon coach m’avait donnĂ©es la veille.

Peux-tu nous parler de ces consignes et de la prĂ©paration de la course ?

Mon entraĂ®neur n’était pas Ă  Rio. La veille du 400 m, je l’ai eu au tĂ©lĂ©phone pendant 20 minutes et il m’a parlĂ©. Il m’a rappelĂ© les consignes et l’objectif. Il m’a expliquĂ© que certes, j’avais loupĂ© mon 100 m, mais ce n’était pas pour cette course-lĂ  qu’on s’était prĂ©parĂ©s. On s’était prĂ©parĂ©s pour ramener une mĂ©daille d’or sur le 400 m et j’étais prĂŞte pour ça. Pour lui, si je ramenais le bronze sur 100 m et l’argent sur 400 m, les objectifs n’auraient pas Ă©tĂ© remplis. Il m’a vraiment remis les idĂ©es en place. J’ai pris conscience que je pouvais encore atteindre mon objectif. Il m’a demandĂ© d’arriver sur ma course en Ă©tant conquĂ©rante. Cette mĂ©daille Ă©tait pour moi et pour personne d’autre. Cette attitude Ă©tait difficile pour moi mais j’ai essayĂ©. Il m’a rĂ©pĂ©tĂ© plusieurs fois une chose : « Si tu prends une dĂ©cision pendant la course, tu l’assumes. Si tu dĂ©cides de partir vite, tu l’assumes Â». Heureusement qu’il m’a dit ça parce que je suis partie vite et Ă  un moment, je me suis rendue compte que j’étais partie vite. En une fraction de seconde, je me suis rappelĂ© : « assume ! Â». Enfin, il m’a donnĂ© des consignes très prĂ©cises sur chaque moment de la course. Il m’a dit comment la course allait se passer, comment mes deux principales concurrentes allaient courir et comment je devais courir si je voulais les battre. Je devais partir vite mais pas trop et avoir une marge d’avance Ă  la sortie du dernier virage pour qu’elles pensent qu’elles ne pourraient plus me rattraper. C’est exactement comme ça que ça s’est passĂ© !

Qu’est-ce-que cette mĂ©daille d’or a changĂ© pour toi, que ce soit sur ou en dehors des pistes ?

Grâce Ă  la mĂ©daille d’or et Ă  une notoriĂ©tĂ© un peu plus importante qu’avant, j’ai eu la possibilitĂ© de faire des choses assez sympathiques, comme ĂŞtre invitĂ©e sur des plateaux et sur des Ă©vĂ©nements ou rencontrer du monde. Sinon cela n’a pas changĂ© ma vie : j’ai continuĂ© Ă  travailler, Ă  aller Ă  l’entraĂ®nement et Ă  payer mes factures !

« Grâce au handisport, on arrive à allier handicap et performance ainsi que handicap et travail »

Tu as participĂ© aux Jeux Paralympiques de PĂ©kin 2008, Londres 2012 et Rio 2016. Quelle est l’Ă©dition qui t’a le plus marquĂ©e ?

Il n’y a pas une Ă©dition en particulier qui m’a plus marquĂ©e. J’ai vĂ©cu diffĂ©remment chacune. PĂ©kin, c’était mes premiers Jeux et c’était vraiment la dĂ©couverte. J’étais jeune. Pour moi, c’était Disneyland. Au Village Paralympique, on pouvait faire tout ce qu’on voulait et manger quand on le souhaitait. Je n’avais pas vraiment conscience de l’enjeu. Je me rappelle ĂŞtre entrĂ©e dans le stade de PĂ©kin avec un pote en chantant la Marseillaise ! C’est un super souvenir ! Londres, c’était difficile parce que je suis arrivĂ©e blessĂ©e au Jeux et j’ai loupĂ© mon 400 m. Mais je suis repartie avec une mĂ©daille de bronze sur 100 m, qui Ă©tait inespĂ©rĂ©e. Rio, c’était la mĂ©daille que j’attendais depuis longtemps. Il y a eu une très belle aventure humaine avant. Ma partenaire de chambre y a aussi rĂ©ussi ses objectifs sportifs et cela m’a permis d’encore plus apprĂ©cier les Jeux !

Tu es atteinte de dĂ©ficience visuelle liĂ©e au fait que tu sois albinos. Peux-tu nous expliquer comment tu fais pour courir et t’entrainer ?

A l’entraînement, une partenaire m’aide à me situer sur la piste et à m’éviter des dangers comme des personnes qui pourraient traverser ou des plots qui pourraient traîner. En compétition, en revanche, je n’ai pas de guide car il n’y en a pas dans ma catégorie. Les seules fois où je me suis fiée à ma vue pendant une course, je me suis loupée, donc j’applique désormais juste les consignes pour me concentrer sur ma course. Je vois bien les contrastes de couleur et je me repère car les pistes rouges ou bleues sont contrastées par des lignes blanches. Les couloirs sont assez larges. On arrive donc a bien naviguer. Quant à mes adversaires, je ne sais pas à combien de mètres elles sont mais je les entends courir.

Depuis le dĂ©but de ta carrière, sens-tu que le regard du monde sur le handisport a changĂ© ?

Oui. Déjà, je trouve que le regard sur le handicap change en France. Je pense que le handisport a fait du bien et fait du bien au handicap en général. Grâce au handisport, on arrive à allier handicap et performance ainsi que handicap et travail. On associe ainsi le handicap à de la réussite. Le regard a changé mais le chemin est encore long, surtout sur le volet du handicap en lui-même.

Tu as actuellement 35 ans. Comptes-tu essayer de continuer jusqu’aux Jeux de Paris 2024 ou bien tu penses Ă  arrĂŞter après les Jeux de Tokyo 2021 ?

Je ne compte pas aller aux Jeux de Paris en tant qu’athlète. J’aimerais bien faire partie de l’équipe mais soit en zone mixe, soit auprès de la jeune gĂ©nĂ©ration. Je souhaiterais avoir un rĂ´le qui me permette d’accompagner les jeunes ou de vivre les Ă©motions des Jeux. Je compte donc arrĂŞter en 2021. Ce sera dĂ©jĂ  pas mal ! (rires)

Merci beaucoup Nantenin pour ta gentillesse et ta disponibilité !

La carrière de Nantenin Keïta en quelques lignes :

Athlète malvoyante, Nantenin Keïta obtient l’argent sur 400 m aux Championnats du monde 2002. En 2006, elle devient double championne du monde du 200 m et du 400 m ainsi que vice-championne du monde du 100 m. Lors des Jeux Paralympiques de Pékin 2008, elle remporte l’argent du 200 m et le bronze du 400 m.

Lors des Jeux Paralympiques de Londres 2012, elle obtient la mĂ©daille de bronze du 100 m  et se classe 5e du 400 m. Elle obtient un nouveau titre de championne du monde du 400 m en 2015.

Elle devient championne paralympique du 400 m à Rio en 2016. Lors des Jeux Paralympiques de Rio, elle est également 5e du 100 m. Aujourd’hui âgée de 35 ans, Nantenin Keïta vise un dernier défi aux Jeux Olympiques de Tokyo 2021.

drapeau paralympique Participations aux Jeux Paralympiques de PĂ©kin 2008, Londres 2012 et Rio 2016

medaille Médaillée d’or aux Jeux Paralympiques de Rio 2016 (400 m)

medaille Médaillée d’argent aux Jeux Paralympiques de Pékin 2008 (200 m)

medaille medaille Médaillée de bronze aux Jeux Paralympiques de Pékin 2008 (400 m) et de Londres 2012 (100 m)

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