Interview d’Ingrid Graziani

(boxe française)

Ingrid Graziani a Ă©tĂ© Championne du monde en 2003 et Championne d’Europe en 2006 dans sa discipline, la boxe française. RetraitĂ©e des rings depuis dĂ©cembre 2007, elle se consacre dĂ©sormais Ă  son autre passion, le théâtre. Rencontre avec une femme aux multiples facettes.

Ingrid, qu’est-ce-qui t’as amenée à débuter la boxe ?

« C’est la question Ă  laquelle je n’arrive jamais Ă  rĂ©pondre (rires) ! DĂ©jĂ , j’ai commencĂ© la boxe quand j’avais 16 ans, donc j’ai commencĂ© un peu tard. J’avais dĂ©jĂ  fait Ă©normĂ©ment de sport avant. Pourquoi j’ai commencĂ© la boxe ? Parce-que en fait une de mes amies en faisait dans mon lycĂ©e, et puis j’étais un peu garçon manquĂ© quand j’étais jeune, du coup j’ai voulu essayer d’en faire. Je savais que mon père aimait bien ce sport car il en avait fait Ă©tant jeune, mais mes parents ne m’ont jamais vraiment poussĂ©e. J’y suis allĂ©e un peu par moi-mĂŞme et finalement ça m’a plu ! Mais bon, je ne sais pas vraiment pourquoi j’ai commencĂ©, il n’y a pas vraiment une raison qui fait que j’ai choisi ce sport plutĂ´t qu’un autre. Par contre, je suis restĂ©e dans ce sport parce-que la relation avec l’entraĂ®neur m’a beaucoup plu. On dit que c’est un sport de combat, mais finalement c’est un sport très humain au niveau des relations que l’on peut avoir avec notre entraĂ®neur, avec les sparring-partners, etc. VoilĂ , c’est ça qui m’a Ă©normĂ©ment retenue en fait. »

N’est-ce pas trop difficile pour une femme de se faire sa place dans ce milieu ? As-tu souffert de préjugés par exemple ?

« Non, pas du tout, au contraire ! Ca, ce sont des prĂ©jugĂ©s qui existent. En fait, pour ĂŞtre boxeur, Ă  mon avis, il faut avoir une grosse part d’humanitĂ©, il faut ĂŞtre quelqu’un d’entier… Donc les gens qui font ce sport Ă  un certain niveau sont vraiment des personnes sensibles, qui comprennent que c’est un sport Ă  part entière, donc ce n’est pas de la bagarre. Il n’y a vraiment pas de jugement sur le fait qu’on soit des filles : on s’entraĂ®ne beaucoup avec les garçons et ils savent qu’on souffre autant qu’eux Ă  l’entraĂ®nement, qu’on prend les coups, qu’on ne fait pas semblant ! Moi, je n’ai jamais eu de problème, et je ne connais pas non plus de filles qui ont eu de problème Ă  ce niveau-lĂ , donc non, ça ce sont encore des prĂ©jugĂ©s. »

Tu es devenue Championne du monde en 2003… Etait-ce la réalisation d’un rêve pour toi ?

« Pas du tout ! En fait, je suis arrivĂ©e Ă  haut niveau très vite, et finalement, je pense que ça m’a desservie au dĂ©part parce-que je ne me suis pas rendue compte de ce qui arrivait. J’ai enchaĂ®nĂ© les combats, je gagnais tout le temps, et pour moi le fait d’être Championne du monde Ă  ma finale, c’est un moment que je n’ai pas pu savourer parce-que c’est arrivĂ© trop vite ! Et ça m’a desservie dans le sens oĂą les deux annĂ©es suivantes, j’ai perdu en Championnats de France. Je n’ai pas pris ça assez au sĂ©rieux. Je suis arrivĂ©e Championne du monde et les annĂ©es d’après je ne m’entraĂ®nais pas assez : j’étais lĂ  Ă  l’entraĂ®nement, mais pour moi la boxe n’était pas si importante que ça en fait… C’est devenu important après, parce qu’il a fallu que je refasse mes preuves. J’ai compris certaines choses : que pour aller au haut niveau il fallait s’entraĂ®ner, ĂŞtre assidue Ă  l’entraĂ®nement, et c’est Ă  partir de ce moment-lĂ  que j’ai pris conscience que si un jour je rĂ©ussissais Ă  avoir de nouveau un titre, j’allais le savourer cette fois-ci. Ma finale aux Europe, j’ai savourĂ© ce titre, après ma finale aux Monde, j’ai malheureusement perdu, mais je suis contente d’être arrivĂ©e jusque-lĂ . Mais mon premier Championnat du monde, je suis arrivĂ©e trop vite Ă  haut niveau et au sommet pour vraiment me rendre compte de ce qui Ă©tait en train de se passer ! »

Avais-tu un rituel avant chaque combat ?

« Oui ! Ce rituel, en fait, s’est cassé un moment donné car j’ai changé d’entraîneur. En fait, à l’époque, mon premier entraîneur me mettait les bandes à chaque fois. Il tremblait plus que moi, c’était assez drôle d’ailleurs ! Il me mettait les bandes, et puis c’était ce petit truc qui faisait qu’il me passait le « pouvoir » ! Mais après, ça s’est cassé parce-que j’ai aussi pris mon envol… A un certain moment, je me suis rendue compte que c’est un sport assez dur pour ça car il faut savoir se détacher de sa première formation et de ses premiers entraîneurs pour aller chercher d’autres choses avec d’autres personnes. Et c’est important aussi, sans tourner le dos à ses premiers entraîneurs, de savoir prendre son élan et aller voir ailleurs pour progresser. »

En parallèle de la boxe, tu suivais aussi une carrière de mannequinat… Comment arrivais-tu à concilier ces deux activités qui paraissent incompatibles à première vue ?

« Sans me poser trop de questions… J’ai fait des premières photos et c’était avant tout un gagne-pain, parce-que malheureusement la boxe française est un sport amateur dans lequel on ne gagne pas d’argent, et du coup je préférais aller faire des photos, des shootings, des défilés, que faire des petits boulots, comme j’en ai fait beaucoup. J’ai trouvé la facilité dans ce métier. C’est plaisant, on te maquille, on te bichonne, tu es là, tu fais des photos, et voilà je ne me suis jamais posé de questions ! Pour les bleus, il faut savoir que nous en boxe française, on tape en pieds-poings, donc on n’a pas qu’une seule cible, comme en boxe anglaise où ils frappent au visage et au flanc. On a beaucoup de bleus dans les jambes, on n’a pas forcément des cocards tous les jours, on se protège à l’entraînement. En fait, je pense que le fait de ne pas me poser de questions et de ne pas avoir peur de prendre des coups faisait que finalement je n’en prenais pas. C’est quand on dit à quelqu’un « fais attention, demain je fais des photos, ne me tape pas au visage » qu’on prend le coup ! C’est assez bizarre, mais de ce fait je ne me suis jamais vraiment posé la question, et pour moi c’était tout à fait compatible ! »

Tu as été l’une des égéries d’une campagne de pub pour Nike… Avec cette exposition, as-tu senti un intérêt plus fort de la part du grand public pour toi et ton sport ?

« En fait, pas tellement, car ça n’a pas non plus été médiatisé au point qu’on me reconnaissait dans la rue ! Par contre, j’ai senti sur mon dernier combat par exemple une pression pour moi, car il y avait des caméras qui me suivaient pour un reportage à Tout le Sport, et ça je pense que ça m’a perturbée, parce qu’on n’a pas l’habitude en boxe française d’être suivie par des médias. C’était très présent, et ça m’a un peu perturbée car c’est un stress supplémentaire à gérer. On apprend au cours de notre carrière à gérer le stress mais ça, c’est venu s’ajouter à tout le stress que j’avais su gérer jusque-là… Ca m’a fait me poser des questions sur les sports qui sont ultra médiatisés : je me disais que ça devait être très dur quand on est sportif de haut niveau dans certaines disciplines, comme le montre un acharnement sur Laure Manaudou ou sur d’autres sportifs. Je me disais que ça devait être très difficile de gérer ça, car déjà moi à un petit niveau ça m’a perturbée ! Enfin voilà, ça a été surtout ça pour moi, mais après au niveau du regard des autres, non, je n’ai rien senti. Après, c’est sûr qu’il y a eu une médiatisation de la boxe française qui est venue et ça fait plaisir, mais j’aurais préféré que ce soit plus pour le sport bien entendu ! »

Tu as arrêté la boxe à 26 ans, en décembre 2007… Quelles sont les raisons qui t’ont poussée à arrêter ta carrière à ce moment-là ?

« En fait, j’ai une autre passion qui est le cinéma et le théâtre : j’ai fait mes études dans l’audiovisuel et le cinéma et aujourd’hui je suis en troisième année dans une école professionnelle de théâtre. Et je pense qu’on n’en parle pas assez, mais la reconversion des sportifs de haut niveau est quelque chose de très, très, (et rajouterais même des « très ») difficile à accomplir, parce qu’on vit d’une passion ! Enfin, on n’en vit pas car pour beaucoup il s’agit de sports amateurs, et il y a beaucoup de sportifs qui ne vivent pas de leur sport en France et qui galèrent beaucoup. Du coup, c’est dur de se reconvertir dans quelque chose qui va nous prendre les tripes, car je pense que quand on est sportif de haut niveau, on a besoin de cette adrénaline, de ce truc qui fait qu’on vibre… Trouver un métier qui va nous faire vibrer autant que notre sport, c’est quelque chose de quasi impossible ! Donc moi, j’ai la chance d’avoir cette autre passion qui me fait vibrer tout autant que la boxe, et j’ai déjà 28 ans aujourd’hui. Or, on me dit souvent sur les castings « ah non, vous êtes trop vieille » (quand on me voit, je fais jeune, et quand je dis mon âge ils refusent) ! Je ne voulais pas commencer ma carrière professionnelle dans le théâtre et le cinéma trop tard pour justement ne pas louper le coche, du coup c’est pour ça que j’ai arrêté.

Un moment donné aussi, j’avais fait le tour de mes objectifs en boxe française : j’ai été Championne du monde, Championne d’Europe, j’ai été en finale des Championnats du monde… Bon, j’y ai perdu, mais pour moi c’est une décision un peu dure car selon moi, je ne perds pas ce combat… Même si c’était serré, j’estime ne pas avoir perdu ce combat, même encore aujourd’hui. Voilà, j’étais vraiment très touchée par cette décision, mais après c’est le sport, c’est comme ça…

Du coup, j’ai arrêté pour toutes ces raisons-là, et aujourd’hui je suis contente car j’ai des projets, des choses qui arrivent… Cette année, pour ma troisième année de théâtre, j’ai passé une audition et j’ai obtenu une bourse, alors qu’on était trente à passer l’audition, et qu’il n’y avait que trois élèves à être boursier. Par conséquent, je ne paye pas ma troisième année, alors que normalement ça coûte 3000 euros. Donc voilà, il y a des choses qui me font dire aussi que j’ai ma place dans ce métier ! Après ça va être dur car ce n’est pas comme le sport où c’est le meilleur qui gagne, quoique pas toujours comme je l’ai dit tout à l’heure (rires) ! Mais bon, il y a toujours une part où si on se donne à fond dans le sport, on y arrive ! Alors que dans ce métier, il y a d’autres choses qui rentrent en ligne de compte : on dépend beaucoup du regard des autres, du choix des réalisateurs et des metteurs en scène… Le sport m’a donné des valeurs et je sais qu’il faut beaucoup travailler pour y arriver, et ce que je fais dans le théâtre, j’espère que ça paiera ! »

Justement, comment se passe ta reconversion ? Quels sont tes futurs projets ?

« J’ai donc eu ces trois années de formation aux Ateliers du Sudden, dirigés par Raymond Acquaviva, et ça marche plutôt bien ! Au sein de l’école, j’ai déjà travaillé sur une création, qui était un théâtre pour enfants crée autour des Fables de la Fontaine, qui a plutôt bien marché. Aujourd’hui, toujours au sein de l’école, je reprends le rôle de la Fée dans Le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare. Voilà, j’ai des petites choses comme ça, qui me font bien travailler ! Le fait d’avoir été lauréate de la bourse pour cette troisième année, ça fait vraiment plaisir car au-delà de l’aspect financier, on se dit que c’est encourageant !

Et après, j’ai un projet de mise en scène sur une pièce de théâtre qui a été écrite par une fille de mon école qui s’appelle D’amour ou pas, et j’ai aussi le projet de jouer dans une pièce de théâtre, Tout contre de Patrick Marber, qui est l’adaptation du film Closer. On va commencer les répétitions incessamment sous peu et ce sera normalement joué à partir du mois d’avril. Ca, c’est au sein d’un atelier d’élèves, et on espère pouvoir ensuite jouer la pièce sur Paris.

Donc voilà, ce sont des projets comme ça, très artisanaux ! Le théâtre, à mes yeux, c’est quelque chose d’artisanal : on développe nos propres projets, je pense qu’il ne faut pas attendre qu’on vienne nous chercher. Après, le cinéma, c’est autre chose : il faut rencontrer des gens. C’est un peu plus compliqué pour moi car je viens d’un milieu, le sport, qui est très humain, où l’on rencontre les gens de toute classe sociale assez simplement. Le cinéma, je ne me sens pas bien dans ce moule, où il faut aller vers les gens : j’ai un peu plus de mal avec ça… Si on ne vient pas me chercher, je ne sais pas si j’arriverais à provoquer la chance… Mais bon, on verra ! »

Merci beaucoup Ingrid pour ta gentillesse ! En te souhaitant de nouveaux succès dans le théâtre ou le cinéma !

Crédit photos : Sébastien Rio, sportfige.sport24.com

La carrière d’Ingrid Graziani en quelques lignes :

Ingrid Graziani commence la boxe française, aussi appelée boxe pieds-poings, à l’âge de 16 ans. Rapidement, elle atteint le haut niveau, jusqu’à décrocher le titre de Championne du monde en 2003. Chose surprenante, elle est élue cette même année miss Ile-de-France. Car Ingrid Graziani, en parallèle de la boxe, est aussi mannequin. En 2006, elle devient Championne d’Europe.

En décembre 2007, alors qu’elle est triple Championne de France, elle décide d’arrêter sa carrière avec un dernier combat : la finale des Championnats du monde. Battue aux points par la Championne de Tunisie, elle quitte donc les rings à 26 ans avec un très beau palmarès, et décide alors d’entamer une nouvelle carrière, dans le théâtre cette fois.

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