Interview de Marlène Harnois

(taekwondo)

Pour cette première interview de l’annĂ©e 2013, interviewsport.fr a eu l’honneur de s’entretenir avec Marlène Harnois. MĂ©daillĂ©e de bronze en taekwondo lors des Jeux Olympiques de Londres en aoĂ»t dernier, elle revient pour nous sur cette expĂ©rience dont elle garde de grands souvenirs.

Marlène, tu as remporté une médaille de bronze en taekwondo lors des Jeux Olympiques de Londres. Etant donné ton histoire, marquée par l’arrêt du taekwondo pendant plusieurs années et par la naturalisation française, as-tu l’impression que cette médaille t’a amené une joie encore plus importante que pour n’importe quel autre médaillé de l’équipe de France ?

Oui, je pense. Je ne suis pas arrivée aux Jeux dans la suite logique d’un parcours sportif. J’étais dans un parcours de haut niveau, puis j’ai décroché. Le fait d’avoir complètement arrêté la pratique sportive pendant quatre ans m’a fait réaliser. J’ai finalement eu la chance de revenir. Ce n’est jamais trop tard. J’ai misé à fond sur moi et j’ai plus que mis les bouchées doubles. Je suis partie du Canada et j’ai tout sacrifié pendant sept ans pour revenir au plus haut niveau. Je suis passée par la naturalisation, par les régimes, par les changements de catégorie et par les nouvelles règles, puisque ma discipline avait complètement évolué. Du coup, avoir été cherché cette médaille pour la France à Londres est énorme ! Sportivement, c’est déjà beau. Mais c’est aussi une revanche sur moi-même. C’est pour moi une victoire qui dépasse le cadre sportif. J’avais envie de m’accomplir et le taekwondo a été le seul moyen pour réaliser mon rêve. Je suis passionnée par mon sport et j’adore ce que je fais, mais il y avait une autre valeur à cette médaille.

Se remotiver pour le combat pour le bronze après avoir été éliminée en demi-finale a-t-il été particulièrement difficile ?

Oui ! Pour moi comme pour beaucoup de monde, la fille la plus forte de la catégorie était l’Egyptienne. Au premier tour, je passe plutôt tranquillement contre la Chilienne. Ensuite, je bats l’Egyptienne et à ce moment-là, dans ma tête, tout est tracé jusqu’en finale : j’avais battu quelques mois auparavant l’Anglaise 15-3 à Paris, et j’avais battu la Chinoise 4-0 en Chine. Je pense que je me suis projetée trop vite. Finalement, je me fais surprendre contre la Chinoise et je perds. Au moment de cette défaite en demi-finale, c’est horrible. Je voulais vraiment aller chercher la médaille d’or à Londres et je pouvais le faire. Du coup, quand je perds, mon rêve d’or olympique devient inaccessible. Il s’écroule pour cette olympiade.

En sortant de l’aire de combat, on passe directement en zone mixte. Je ne peux pas y pleurer. J’essaie alors de parler mais je suis vraiment triste. Après la zone mixte, il y a un couloir qui fait environ deux mètres, puis on arrive directement en salle d’échauffement, un open space où tout le monde est face-à-face. Je ne peux pas non plus y aller et pleurer dans la salle d’échauffement. Du coup, je suis restée pendant un moment dans le couloir entre la zone mixte et la salle d’échauffement. Je tremblais et je n’arrêtais pas de pleurer. Myriam, Anne-Caroline (Myriam Baverel, son entraîneur, et Anne-Caroline Graffe, médaillée d’argent en taekwondo lors de ces JO, ndlr) et mes partenaires d’entraînement sont venus. De nombreux sportifs d’autres sports étaient aussi venus m’encourager. Tous les Bleus se sont rassemblés autour de moi, c’était beau ! Pascal Gentil était à Pékin car il n’avait pas pu venir. Il m’a appelée au téléphone, et il m’a dit : « allez, allez, remobilise-toi, il faut que tu te battes, que tu ailles chercher cette médaille ! ». Il n’arrêtait pas de crier après moi ! Or, gamine, je me souviens de Pascal allant chercher la médaille de bronze à Sydney et à Athènes. Et en tant que spectateur, je dirais que la médaille n’a presque pas d’importance : on est fier de nos sportifs et on veut qu’ils se dépassent. A ce moment-là, je me suis dit que j’avais encore la possibilité de faire aussi bien que Pascal. Après, j’étais gonflée à bloc !

J’ai eu de la chance puisque j’avais environ trois heures entre la demi-finale et la finale de repêchage. Du coup, j’ai pleuré comme un bébé pendant trente minutes. Ensuite, j’ai eu Pascal et tout le monde au téléphone pendant une autre demi-heure. Ça me laissait après deux heures pour me remotiver. J’avais encore l’opportunité d’aller chercher la médaille de bronze et c’est sûr que je n’allais pas laisser la chance passer !

Ce qui est vraiment bien dans mon sport, c’est qu’on termine sur une victoire avec la médaille de bronze. Ça change tout ! Ça m’a permis de parader avec mon drapeau, de pouvoir célébrer ma joie ! Mes dernières secondes aux Jeux Olympiques, c’est le coup de pied dans la tête de la Japonaise, qui tombe sur le buzzer : je suis alors médaillée olympique !

Mis à part ta compétition, quels souvenirs gardes-tu de ces Jeux Olympiques de Londres ?

Premièrement, l’esprit d’équipe. Il était vraiment « mortel » ! Laura Flessel a assuré. Elle est allée voir tout le monde. Elle est venue m’encourager au taekwondo. Elle me disait même : « vas-y, mets des touches ». Et je répondais : « mais Laura, ce sont des coups de pieds ! ». J’ai la chance de m’entraîner à l’INSEP : pour la plupart des athlètes, on se connaissait déjà en arrivant à Londres. On sentait de la solidarité, des encouragements, de la fierté de faire partie de l’équipe de France. Sur le village, on se retrouvait et on s’encourageait !

Je me rappelle d’un soir où je suis allée au self et j’étais avec Hamilton Sabot. C’était la veille de sa médaille (le bronze en gymnastique, ndlr). On mangeait et on parlait normalement. Deux jours plus tard, on se retrouvait et on était médaillés olympiques !

Après, j’ai vraiment aimé le Club France parce que ça nous permettait de rencontrer les gens qui nous encourageaient et qui vibraient avec nous. Je suis dans un sport plutôt confidentiel. Je suis double championne d’Europe, championne du monde universitaire, médaillée mondiale : j’ai donc souvent fait des performances, mais elles sont restées dans le cercle très fermé du taekwondo. Là, j’ai beaucoup aimé remporter une médaille et rencontrer plein de gens qui découvraient mon sport !

Enfin, le plus beau est sûrement le défilé sur les Champs Elysées au retour. C’était énorme ! Des dizaines de milliers de personnes sont venues nous accueillir sur les Champs-Elysées et en Gare du Nord. Ça m’a touchée de voir que les Français sont venus nous rendre hommage. Ils ont pris deux ou trois heures et sont venus pour nous saluer. Ils reconnaissent tout le travail qu’on fait et ils ont pris le temps de le souligner.

Ta médaille de bronze t’a amené beaucoup de sollicitations et de médiatisation. Etais-tu préparée à cela ? Cela est-il un pur bonheur ou bien est-ce parfois pesant ?

Je n’étais pas du tout préparée à ça. Je fais partie d’un sport qui est plutôt confidentiel et ce n’est donc pas quelque chose dont j’avais l’habitude. Ça a pris d’un coup ! Mes comptes Facebook et Twitter ont explosé du jour au lendemain. Je n’étais pas entourée d’agent ni de personne gérant mes relations presses. Du jour au lendemain, tu changes complètement de statut !

Je trouve ça cool. Après les Jeux, j’ai répondu à tous les messages qu’on m’a envoyés sur Facebook, à tous les mails et à toutes les demandes de dédicaces. Ça m’a pris beaucoup de temps mais je ne le vois pas comme une contrainte. Des gens m’ont dit qu’ils avaient déposé des RTT pour suivre ma journée de compétition ! Ce sont aussi tous ces gens-là qui m’ont donné la force de retourner pour aller chercher ma médaille de bronze. Pour moi, c’est donc normal de le faire. Et puis je n’oublie pas que j’ai déjà eu 8 ans : quand j’étais petite au Québec, je me souviens avoir fait la queue deux ou trois heures avec ma mère pour avoir l’autographe d’une championne de plongeon, et que j’étais très contente d’avoir une photo avec un médaillé olympique de ski de bosses. Je me rappelle à quel point ça m’avait fait plaisir à 8 ans, et si aujourd’hui j’ai la chance de faire plaisir à une petite fille de la même manière, la moindre des choses est que je le fasse !

Ton entraîneur est Myriam Baverel, médaillée d’argent lors des Jeux Olympiques d’Athènes en 2004. Le fait que ton entraîneur ait été médaillée olympique t’a-t-il aidé pour aller chercher cette médaille ?

Comme elle a été médaillée olympique, je pense qu’elle avait une bonne vision des choses. Mais je crois que ce qui m’a surtout aidée, c’est d’avoir beaucoup de médaillés olympiques et de gens ayant participé aux JO dans mon entourage : mon copain a fait les JO de Pékin sur le 110 mètres haies, je suis très proche de Pascal Gentil, il y a donc aussi Myriam…

Sinon, le CNOSF (Comité National Olympique) organise chaque année la « Semaine Olympique » : il invite tous les médaillés des disciplines olympiques pendant une semaine à Courchevel. On y fait des activités ensemble le jour, ce qui est bien pour la cohésion, et on fait des essais d’expérience le soir. On échange. De 2008 à 2012, j’ai participé à toutes les éditions de la Semaine Olympique. Je pense que côtoyer de nombreux médaillés olympiques de différents sports m’a beaucoup aidée. J’ai pu réaliser aussi que personne ne vit les Jeux de la même manière. Je pense que j’ai beaucoup pu me nourrir de l’expérience d’autres médaillés.

Auparavant, tu es devenue deux fois championne d’Europe (en 2008 et 2012) et une fois médaillée de bronze mondiale (en 2011). Quelle a été la médaille qui a été le déclic le plus important pour toi ?

Ma plus belle victoire restera toujours le Championnat d’Europe en 2008, car c’était trois jours après avoir obtenu la nationalité française. Ça faisait trois ans que j’attendais ma naturalisation. Je n’avais pas été naturalisée à temps pour les qualifications olympiques pour Pékin, et j’étais très triste de les louper pour des raisons administratives. Quand j’ai commencé la préparation du Championnat d’Europe 2008 à Rome, je n’étais pas française et on n’avait aucune certitude sur le fait d’avoir mes papiers à temps. Je me suis donc mise au régime, j’ai perdu du poids, je  me suis entraînée, et je ne savais toujours pas. C’est le jour de l’accréditation que ma naturalisation est tombée. Ce jour-là, Pascal Gentil m’a regardée et m’a dit : « maintenant, tu sais ce qu’il te reste à faire ! ». Et là, gros coup de pression ! C’est vrai : ça faisait trois ans que je faisais tous les sacrifices quotidiens de haut niveau sans jamais avoir la chance de m’exprimer par mon sport, et d’un coup j’étais française et engagée aux Championnats d’Europe. Il ne me restait plus qu’à le gagner ! Et je l’ai fait, donc pour moi c’était énorme !

Ma Fédération avait cru en moi pendant toutes ces années et avait appuyé ma demande de naturalisation. Tout le monde s’était investi et avait voulu me donner ma deuxième chance. Quand je suis devenue championne d’Europe, c’était pour leur dire merci d’avoir cru en moi. C’était vraiment fort. Ça a été un changement de situation moins grand que les JO, mais quand même énorme pour l’époque. Avant, je n’avais même pas le statut de haut niveau, je n’étais éligible à aucune bourse, je travaillais au vestiaire en boite de nuit à Aix-en-Provence pour 40 euros par soir, je m’entrainais… J’étais vraiment dans l’ombre, sans situation. Et trois jours plus tard, quand je revenais de Rome, j’étais française et championne d’Europe !

Ne crains-tu pas que les attentes des gens sur tes prochaines compétitions soient très élevées et te mette beaucoup de pression ?

Non. Je me mets tellement la pression toute seule pour réussir et j’ai tellement des exigences élevées envers moi-même que je ne sais pas qui peut arriver à me stresser. J’ai tant envie d’être championne du monde et c’est un enjeu si important pour moi, que du coup tant mieux si les gens m’attendent ! Ça me donne encore plus d’énergie pour me battre et aller chercher le titre mondial. Au pire, si ça ne passe pas, ça ne passe pas ! Mais en tout cas, c’est plus une motivation pour moi qu’une pression.

Quels sont tes prochains objectifs ? Penses-tu déjà aux Jeux Olympiques de Rio de 2016 ?

Oui, vraiment ! A la fin du mois de novembre, pour la compétition de reprise après les Jeux, je suis devenue vice-championne du monde par équipe avec le collectif féminin. C’est clair que je pense aux Jeux de 2016. Aujourd’hui, je ne vis que pour ça. J’ai goûté aux Jeux Olympiques et j’ai très envie de refaire une olympiade. Et je trouve que quatre ans, c’est long ! J’aimerais que ce soit déjà l’été prochain ! Même si je pouvais faire les Jeux d’hiver, je les ferais ! (rires) Je suis motivée à bloc sur 2016.

Il y a forcément des étapes d’ici là. La prochaine véritable étape sera les Championnats du monde en juillet 2013 au Mexique. L’objectif est d’aller chercher le titre mondial avant le titre olympique en 2016 !

Merci beaucoup Marlène pour ta gentillesse et ta disponibilité ! Bonne année 2013 !

Crédits photos : Reuters / Darren Staples (photo 1) et Getty Images Europe / Hannah Johnston (photo 3)

La carrière de Marlène Harnois en quelques lignes :

Marlène Harnois débute sa carrière en junior sous les couleurs du Canada. Après être partie s’entraîner en France pendant une saison dans le cadre d’un programme de solidarité francophone, elle revient au Canada mais arrête le taekwondo, les structures n’étant pas suffisamment développées. En 2006, elle décide finalement de revenir en France s’entraîner.

En 2008, alors qu’elle vient à peine d’obtenir la nationalité française, Marlène Harnois devient championne d’Europe de la catégorie des -63kg. Deux ans plus tard, elle obtient le bronze des Championnats d’Europe. Après avoir changé de catégorie et être passée en -57kg, elle remporte en 2011 le bronze des Championnats du monde  et l’or des Championnats du monde universitaires.

En 2012, elle décroche un quota olympique lors d’un tournoi de qualification. En août, elle remporte la médaille de bronze lors des Jeux Olympiques de Londres : éliminée en demi-finale des -57kg, elle gagne le combat pour la médaille de bronze. Son année 2012 est aussi marquée par un nouveau titre de championne d’Europe en individuel et par une médaille d’argent aux Championnats du monde par équipe. Aujourd’hui âgée de 26 ans, Marlène Harnois se prépare pour les Championnats du monde qui se disputeront en juillet prochain au Mexique.

Pour en savoir plus sur Marlène, visitez son site officiel : www.marleneharnois.com

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