Avec sept titres de champion du monde, deux records du monde et une mĂ©daille de bronze aux Jeux Olympiques de Rio 2016, François Pervis dispose d’un palmarès exceptionnel. Son triplĂ© historique en 2014, les problèmes Ă la FĂ©dĂ©ration, son nouveau dĂ©fi pour les Jeux Paralympiques : il s’est livrĂ© pour nous.
François, vous avez participé à vos premiers Jeux Olympiques à Athènes en 2004, terminant sixième du kilomètre. Etiez-vous satisfait de votre performance à l’époque ?
J’étais complètement satisfait car j’avais battu mon record personnel ce jour-là . Je pouvais difficilement faire mieux. En étant sixième, j’étais considéré comme finaliste. J’ai même reçu un peu plus tard une médaille à mon domicile attestant que j’avais été finaliste. Je n’avais pas encore 20 ans. C’était prometteur pour la suite et j’étais très content de ce résultat.
Plus globalement, quels souvenirs gardez-vous de ces premiers Jeux Olympiques ?
Ces Jeux ont Ă©tĂ© pour moi une rĂ©vĂ©lation. C’était Ă Athènes, le berceau de l’Olympisme. Je les ai vĂ©cus avec GrĂ©gory BaugĂ©, qui Ă©tait remplaçant Ă l’époque. On a vĂ©cu des Jeux Olympiques extraordinaires. On Ă©tait des vrais gamins. On croisait toutes les stars du monde entier et de tous les sports, notamment le champion Olympique du 100 m Maurice Greene. On apercevait aux fenĂŞtres des immeubles tous les drapeaux du monde, et on se demandait Ă quel pays correspondait quel drapeau. On Ă©tait Ă©merveillĂ©s par tout ce qu’on voyait. On croisait des petits d’1m 50, des gros de 150 kg, des grands de 2m 15 ! On se disait qu’on ne connaissait pas cet athlète, mais qu’il allait peut-ĂŞtre ĂŞtre champion Olympique dans son sport l’après-midi. On Ă©tait donc 24 heures sur 24 dans l’excitation la plus totale !
On était dans le même bâtiment que les professionnels de la route. J’ai partagé ma chambre avec Christophe Moreau la première semaine et avec Jean-Christophe Péraud la deuxième. J’ai vu pour la première fois Richard Virenque, Thomas Voeckler, Sylvain Chavanel et Laurent Brochard. C’était incroyable de les voir en vrai. Je ne les voyais avant qu’à la télé ! En rentrant chez moi, j’étais sur mon petit nuage pendant des mois et des mois ! J’ai vécu 15 jours exceptionnels, qui resteront gravés en moi à jamais. Après les Jeux, je me suis dit que mon but était d’être champion Olympique quatre ans plus tard. Mais finalement, le kilomètre a été retiré en 2005 du programme des Jeux Olympiques.
A partir de 2010, vous êtes parti six fois au Japon pendant plusieurs mois pour vous entraîner et participer aux compétitions de keirin. Pensez-vous que cela a été un déclic pour les nombreux titres que vous avez remporté par la suite ?
C’est clair et net ! J’ai toujours dit que si je n’avais pas Ă©tĂ© au Japon, je n’aurais jamais Ă©tĂ© – ou en tout cas pas autant – champion du monde. Le Japon a Ă©tĂ© pour moi aussi bien un dĂ©clic physique que psychologique. J’ai beaucoup appris sur moi, sur la manière de m’entraĂ®ner, de me remettre en question et de gĂ©rer mes Ă©motions. Suite Ă ma dĂ©convenue des Jeux Olympiques de 2012 (non retenu dans la sĂ©lection, ndlr) et suite Ă Fukushima (important accident nuclĂ©aire au Japon en 2011, ndlr), le Japon m’a Ă©normĂ©ment fait relativiser sur ma vie de sportif de haut niveau et m’a permis d’arrĂŞter de me mettre des barrières au niveau sportif. Cela m’a apportĂ© la confiance en moi. Je suis alors devenu champion du monde pour la première fois et j’ai enchaĂ®nĂ© avec deux records du monde, un triplĂ© historique en 2014, un doublĂ© en 2015, une mĂ©daille aux Jeux en 2016 et encore un titre en 2017. Le Japon m’a transformĂ© !
« J’ai beaucoup de fierté d’avoir gagné dans des conditions extrêmement difficiles »
Pouvez-vous nous parler un peu de vos conditions d’entraînement au Japon ?
Quand j’étais au Japon, j’étais livré à moi-même pendant quatre mois. Je m’entraînais par mes propres moyens. Je me focalisais entièrement sur mon entraînement et sur mes compétitions. Là -bas, je ne courrais que sur des pistes en béton en extérieur, avec un vélo en acier et des roues à rayons. Le rendement était donc très mauvais. Quand je retournais ensuite sur un vélodrome couvert en bois et chauffé, avec un vélo en carbone avec des roues en carbone, j’avais l’impression de voler ! Ça a fait la différence. Et puis au Japon, je faisais beaucoup d’erreurs au niveau de l’entraînement car je m’entraînais par moi-même. Mais comme j’avais une course tous les 15 jours, je pouvais régulièrement adapter mon entraînement entre deux compétitions. Je voyais ce qui marchait et ce qui ne marchait pas. C’est comme ça que j’ai beaucoup appris sur l’entraînement que me convenait.
Comment cela se passait avec vos entraîneurs en équipe de France ?
Mes entraîneurs en France ont beaucoup changé entre 2013 et 2017. Mes deux premiers entraîneurs, entre 2013 et 2015, ont compris qu’il ne fallait pas que je change ma façon de m’entraîner. Mes résultats le prouvaient puisque je battais des records du monde et j’étais champion du monde. Après, ça s’est aggravé en 2016 et en 2017 : on a eu deux nouveaux entraîneurs, qui m’ont imposé leur entraînement. Cela n’a pas fonctionné et cela s’est malheureusement ressenti sur les résultats.
Vous avez réalisé des Championnats du monde exceptionnels en 2014, avec trois titres de champion du monde sur le keirin, la vitesse individuelle et le kilomètre. Vous sentiez-vous capable d’un tel exploit avant ces Championnats du monde ?
J’avais annoncé dans la presse que j’allais aux Championnats du monde de Cali pour réaliser un triplé historique. Personne dans l’histoire de mon sport n’avait gagné toutes les épreuves individuelles du sprint sur un même Championnat du monde. Certains ont alors dit que j’avais la grosse tête, car même les plus grosses stars de notre sport comme Florian Rousseau ou Chris Hoy n’avaient jamais réussi cela. Mais trois mois avant, en décembre 2013, je venais de battre deux records du monde lors de la Coupe du monde au Mexique. Finalement, j’ai réussi ce triplé et c’est une très grosse fierté. D’autant plus que c’était à ce moment-là la catastrophe au niveau personnel : j’étais en plein divorce. Beaucoup pensaient que je n’allais pas tenir. Mais je me suis servi de ça comme d’une force. Cela m’a donné la haine sportivement pour ces Championnats du monde. J’y ai gagné tous mes sprints sur les trois épreuves, des qualifications aux finales. J’ai beaucoup de fierté d’avoir gagné dans des conditions extrêmement difficiles.
Vous êtes devenu double champion du monde à Saint-Quentin-en-Yvelines en 2015, sur le keirin et sur le kilomètre. On imagine que c’est un grand souvenir d’avoir gagné devant le public français ?
Je souhaite à chaque athlète de devenir champion du monde devant son public, sa famille, ses amis et ses sponsors. C’était monumental ! J’en ai des frissons en y repensant ! Avec les Jeux Olympiques, c’est l’un de mes plus beaux souvenirs. Dans mon sport, il y a malheureusement très peu de compétitions internationales en France. J’ai souvent dû partir loin pour les compétitions et ceux qui me suivent m’ont très rarement vu courir. Ces Championnats du monde à domicile étaient géniaux. Quand il y a 6000 personnes qui crient ton nom, qui font la ola juste après que tu aies gagné, quand tu chantes la Marseillaise avec le public, c’est incroyable ! En keirin, dès que je commençais à lancer mon sprint et à me mettre debout sur le vélo, j’entendais tout le monde commencer à hurler. Le vélodrome grondait jusqu’à ce que je franchisse la ligne. C’était la folie ! Ça me faisait pousser des ailes. C’est un super souvenir !
Lors des Jeux Olympiques de Rio 2016, vous avez obtenu la médaille de bronze en vitesse par équipe. Etait-ce pour vous la réalisation d’un rêve ou bien le contexte vous laisse un goût amer ?
Cette médaille-là , c’est 50/50. Avec les collègues, on est très fiers de l’avoir remportée parce que c’était très loin d’être gagné. On était en conflit avec notre entraîneur de l’époque depuis plus d’un an parce qu’on n’était pas d’accord avec ses plans d’entraînement. Mais lui ne voulait pas nous écouter. On n’a donc pas marché. En 2015, l’équipe de France a gagné toutes les épreuves de sprint aux Championnats du monde et un an après, on a quasiment fait chou blanc aux Jeux Olympiques ! C’est bien qu’il y avait un problème quelque part. On avait un très bon niveau qu’on aurait dû rehausser pour les Jeux Olympiques, mais au contraire on a rétrogradé à cause d’un entraînement non adapté et on n’est pas arrivé en forme. On a tout juste réussi à gagner cette médaille de bronze sur le fil.
On s’est fait taper sur les doigts. Tout le monde se demandait ce qui se passait et pourquoi on n’avait gagné qu’une médaille de bronze un an après voir tout gagné. Les faits sont là : avec le précédent entraîneur, on avait tout gagné en 2015, et avec le nouveau, on a fait chou blanc en individuel en 2016 ! On a tout simplement expliqué qu’on avait été mal managé, qu’on n’avait pas voulu nous écouter et que ça s’était ressenti sur les résultats. On s’est tous fait virer du pôle pendant six mois après ça !
D’un côté, on est fiers car c’était très compliqué de gagner cette médaille avec une préparation loin d’être optimale et dans un contexte de conflit permanent. D’un autre côté, on est un peu dégoûtés car on se doit d’être au moins sur le podium aux Jeux Olympiques quand on a été champion du monde comme Grégory et moi.
« Je vais faire tout mon possible pour terminer ma carrière sur une belle note aux Jeux Paralympiques avec Raphaël ! »
Depuis de nombreuses années, le contexte avec la Fédération est très difficile pour les cyclistes sur piste. Comment avez-vous toujours trouvé la force de continuer au top niveau malgré un environnement aussi compliqué ?
C’est frustrant quand la Fédération n’écoute pas les coureurs. On est là depuis 20 ans alors que les membres de la Fédération changent tous les Jeux Olympiques. On a affaire à gens qui ne connaissent pas le vélo et qui prennent des décisions à notre place. On a quand même montré par nos résultats qu’on savait comment faire ! Tout le monde dit : « il faut que l’athlète soit au centre du projet ». Ce n’est clairement pas du tout le cas. On est donc très frustrés. Mais le problème, c’est que si on parle pour dire ce qui ne va pas, ils nous mettent dehors ! Ils m’ont mis dehors juste parce que j’ai dit ce qui n’allait pas il y a deux ans ! Les autres coureurs se disent alors que s’ils m’ont mis dehors malgré tout ce que j’ai gagné, ils ont encore moins de légitimité pour parler et ils ne parlent donc pas. Malheureusement, c’est comme ça que ça se passe actuellement et les résultats de l’équipe de France diminuent.
Comment je fais ? Je me lance des défis et je me dis que rien ni personne ne se mettra en travers de mon chemin pour que j’aille gagner des courses. Quand tout le monde me dit : « ce n’est pas possible, tu ne vas pas y arriver », comme on m’a dit en 2014 quand j’étais en plein divorce, je prends ça comme un défi et je me mets en mode machine dans ma tête ! Plus les conditions sont difficiles, plus ça me transcende pour réussir et prouver que c’était possible ! C’est mon leitmotiv. C’est jouissif quand tu y arrives ! C’est ce qui m’a animé toutes ces dernières années.
Votre nouveau projet est de remporter l’or aux Jeux Paralympiques de Tokyo en tant que guide avec l’athlète malvoyant Raphaël Beaugillet. Pouvez-vous nous raconter comment est venu ce défi ?
En décembre 2019, six mois avant l’annonce officielle de la sélection, le DTN de la Fédération Française de Cyclisme a annoncé qu’il ne comptait pas sur moi pour les Jeux. Ça m’a fermé les portes des Jeux Olympiques. Ça a mis la puce à l’oreille de la Fédération Française Handisport, qui m’a proposé le projet. Ça m’a énormément plu et j’y ai adhéré. Mais j’ai mis certaines conditions concernant l’entraînement et le vélo. Raphaël est un routier à la base et a une grosse marge de progression car il ne s’entraîne pas du tout comme un sprinteur. Aux derniers Championnats du monde, son ancien pilote et lui ont réussi à être quatrième. Si Raphaël commence très sérieusement la musculation, courre avec moi sur le tandem et qu’on a un vélo un peu plus rapide, on se dit qu’on peut aller chercher l’or Paralympique. On pense qu’on peut passer sous la minute et titiller la meilleure équipe, les Anglais. C’est un beau défi !
Comment avez-vous vécu la nouvelle du report des Jeux Paralympiques de Tokyo à 2021 ?
Pour nous, c’est une excellente nouvelle. Avant, on n’avait que 6 mois devant nous pour faire de Raphaël un pur sprinteur. Maintenant, on a 18 mois devant nous. Cela lui laisse trois fois plus de temps pour s’entraîner, faire de la musculation et devenir très fort physiquement. Nos chances de chercher l’or Olympique sont maintenant encore plus importantes.
Avec le décalage des Jeux Olympiques à 2021, gardez-vous quand même dans votre esprit l’idée de participer aux Jeux Olympiques en cyclisme sur piste valide ?
Non. La Fédération Française de Cyclisme a clairement tout fait pour me mettre dehors. La piste valide, c’est terminé ! Je vais faire tout mon possible pour terminer ma carrière sur une belle note aux Jeux Paralympiques avec Raphaël !
Merci beaucoup François pour votre disponibilité et bonne chance pour ce nouveau projet !
La carrière de François Pervis en quelques lignes :
Français Pervis participe à ses premiers Jeux Olympiques en 2004 à Athènes et y termine 6e du kilomètre. Il remporte ensuite de nombreuses médailles sur le kilomètre aux Championnats du monde (argent en 2007, bronze en 2006, 2008, 2010 et 2011). Il obtient aussi l’argent en keirin aux Championnats du monde 2009.
Aux Championnats du monde 2013, il obtient l’or sur le kilomètre ainsi que le bronze en vitesse individuelle et en vitesse par équipe. En décembre 2013, il bat au Mexique deux records du monde, sur le 200 m lancé (9’’347) et sur le kilomètre (56’’303). Il réussit l’exploit de devenir triple champion du monde en 2014 (kilomètre, keirin et vitesse individuelle) et double champion du monde en 2015 (kilomètre et keirin).
Lors des Jeux Olympiques de Rio 2016, il remporte la médaille de bronze de la vitesse par équipe (avec Grégory Baugé et Michaël d’Almeida). Il remporte de nouvelles médailles aux Championnats du monde 2017 (or sur le kilomètre et bronze en vitesse par équipe) et 2018 (bronze en vitesse par équipe). Aujourd’hui âgé de 35 ans, François Pervis vise désormais les Jeux Paralympiques de Tokyo 2021 en tant que guide de l’athlète malvoyant Raphaël Beaugillet. Il détient toujours ses deux records du monde.
Participations aux Jeux Olympiques d’Athènes 2004 et de Rio 2016
Médaillé de bronze aux Jeux Olympiques de Rio 2016 (vitesse par équipe hommes)
je suis tres fier de mon fils malgré tous les batons mis dans ses roues il a pu emerger au sommet grace a sa volonte et sa force de caractere OR A TOKYO