Interview de Margaux Chrétien
(natation synchronisée)

Margaux Chrétien a participé aux Jeux Olympiques de Rio 2016 et a terminé huitième du duo avec Laura Augé. Aujourd’hui retraitée des bassins, elle nous parle de son expérience Olympique et des particularités de sa discipline.

Margaux, tu as participé aux Jeux Olympiques de Rio 2016 en duo avec Laura Augé, terminant à la huitième place. Ce classement correspondait-il à vos objectifs ?

Complètement ! La natation synchronisée est un sport très ancré dans sa hiérarchie. On avait déjà terminé huitièmes lors des Mondiaux précédents, mais on était quatre duos à se battre pour la huitième place à Rio. La septième place n’était pas atteignable : il aurait encore fallu plusieurs années d’entraînement pour pouvoir y prétendre. Ce petit challenge était assez intéressant. Les Américaines ont notamment obtenu un meilleur score que nous sur l’épreuve technique. Cela a été assez relevé. On était très satisfaites de ce qu’on a réalisé.

Raconte-nous comment tu as vécu les derniers moments avant la finale Olympique ?

Avant de passer, on ne s’est pas beaucoup parlé avec Laura. Je savais que j’allais arrêter après cette nage. On savait aussi qu’en quelques mots, on pourrait se faire pleurer l’une et l’autre. Ce n’était pas le but d’être dans cet état-là. On est dans un sport où on essaie de stabiliser au maximum la performance pour qu’il n’y ait pas de surprise le jour J. Il fallait donc essayer de conserver nos émotions de la façon la plus stable possible pour ne pas influencer notre prestation. Sans rien se dire, il y avait un sentiment très fort avant de passer.

J’avoue qu’au moment de monter sur la première marche qui nous amenait au podium de départ, j’ai eu une pensée me disant que quinze ans de carrière prenaient fin ici. Il y a eu un peu d’appréhension car j’avais eu un trou noir d’environ une seconde sur les phases éliminatoires, que je ne saurais toujours pas expliquer : j’avais oublié un mouvement sur la chorégraphie. Je suis restée très concentrée sur le moment présent. On était prêtes.

Pendant la performance, sentais-tu que tout se passait comme il le fallait ?

Quand on nageait, je sentais que c’était bien et qu’on était parfaitement synchronisées. Je n’avais aucun doute. Il y a une connexion très particulière entre les duettistes en natation synchronisée. Pendant la chorégraphie, même quand on ne se voit pas, on se sent car on a une grande connaissance de l’autre. Je ne me souviens même pas de la douleur. Je savais que ça ne servait à rien de s’économiser car il n’y aurait plus rien derrière.

Après notre passage, on a longtemps attendu les notes. On passait après toutes les concurrentes de notre groupe, donc notre score allait donner notre classement définitif. Nos familles étaient dans les gradins et étaient assez proches de nous. On les regardait souvent en attendant les notes. C’était fort. Je crois que je n’ai jamais vécu de moment aussi fort de toute ma vie, excepté peut-être la cérémonie d’ouverture.

« Je me suis alors dit que je pourrais raconter à mes enfants que j’étais aux Jeux de 2016 »

On imagine que participer à la cérémonie d’ouverture a en effet été un grand moment ?

Toute la première journée a été extraordinaire. On a effectué un vol de nuit et on est arrivées à Rio vers 8h du matin. On a obtenu nos accréditations. On a ensuite découvert le Village Olympique. On y a croisé des personnalités et des personnes venues du monde entier. On s’est même retrouvées dans l’ascenseur avec Tony Parker. Il nous a demandé quand étaient nos épreuves. Ce sont des choses irréelles !

Le soir même de notre arrivée, on est allées au Maracana pour la cérémonie d’ouverture ! Je me souviens que c’était la course à qui serait le plus proche de Teddy Riner pour être vu à la télé (Teddy Riner était le porte-drapeau de la délégation française, ndlr). Dans le couloir avant de rentrer dans le stade, on sentait la pression monter. Quelque chose de très fort était en train de monter dans chaque athlète. Je suis sortie du couloir, je suis arrivée dans le stade et j’ai commencé à crier et à sauter partout. Mes parents ne m’ont pas vue alors que j’étais très bien positionnée ! (rires) Le stade était gigantesque et il y en avait de partout. Je me souviens avoir vu François Hollande nous faire signe. Je me rappelle aussi avoir longtemps observé le logo des Jeux et je crois que je me suis mise à pleurer à ce moment-là. Je me suis alors dit que je pourrais raconter à mes enfants que j’étais aux Jeux de 2016.

De façon plus globale, quels souvenirs gardes-tu de ces Jeux Olympiques ?

Il y avait sept jours entre notre arrivée à Rio et notre compétition. C’était très confortable d’avoir un tel temps d’acclimatation. En tout, on a pu profiter du Village Olympique pendant quinze jours.On passait un peu pour des touristes quand on disait qu’on visait la huitième place. Les autres visaient un podium et ne nous comprenaient pas. Chacun sa discipline !

Nos épreuves étaient réparties sur trois jours, avec une épreuve par jour. Il n’y avait pas de surcharge, comme il peut y avoir aux Championnats du monde où on a souvent deux épreuves par jour. Les Jeux Olympiques peut-être la compétition la plus facile que j’ai faite car il y avait peu d’épreuves. Ce qui était compliqué pour les Jeux, c’était plus la préparation et le travail en amont.

Sinon, il y a eu un petit imprévu pendant la compétition : la piscine est devenue verte à cause d’un mauvais traitement de l’eau. La veille de nos épreuves, ils ont commencé à vider le bassin de compétition pour y injecter l’eau du bassin d’entraînement. Il y avait des énormes tuyaux partout ! La veille au soir, on n’a donc pas pu s’entraîner. Et le matin, on ne savait pas si on allait pouvoir faire nos épreuves de façon normale. Il y aurait peut-être quelques détails à revoir en termes d’organisation et de sécurité mais tout s’est très bien passé pour nous au final !

Lors des Championnats d’Europe 2016, tu as terminé quatrième à la fois en duo et en ballet. Est-ce un grand regret d’avoir été si proche du podium sur cette compétition ?

En termes de points, on n’était pas proches de la médaille. On était à notre place. La natation synchronisée est très ancrée dans la hiérarchie et c’est très dur de sortir les filles du podium. Cela faisait à peine deux ans qu’on travaillait ensemble avec l’équipe. Peut-être que le collectif d’aujourd’hui, qui évolue ensemble depuis 2016, peut envisager un podium. Mais ce n’était pas le cas à mon époque. Il n’y a pas de frustration par rapport à ces quatrièmes places.

« On nous demande de masquer la fatigue par des sourires et ça trompe donc les gens »

La natation synchronisée est un sport très dur physiquement avec une grande partie de l’effort faite sous l’eau sans respirer. Comment se fait l’entraînement, entre les côtés physique et artistique ?

Pour réussir à apporter le côté artistique, il faut d’abord maitriser le plan technique. Pour cela, il faut être capable de tenir la durée du ballet. Il y a de l’apnée et le type d’effort est particulier. Nos efforts durent entre deux et quatre minutes et on est un peu entre deux au niveau des filières de l’effort : on est sur des durées d’aérobie mais avec de l’apnée qui nous amène beaucoup de lactique. Cela nous demande un gros travail sur la préparation physique en termes de VO2max. On travaille le gainage, la souplesse ainsi que la ligne de jambes pour avoir un ensemble le plus harmonieux possible. Beaucoup de travail est donc effectué hors de l’eau. Cela correspond à une ou deux heures par jour, sur un total de 35 ou 40 heures d’entraînement hebdomadaire.

On ne dirait pas que c’est aussi dur parce qu’on nous demande de sourire tout le temps ! J’aimerais qu’on change cet aspect de notre discipline et qu’on arrête d’être des poupées maquillées avec un faciès figé. On nous demande de masquer la fatigue par des sourires et ça trompe donc les gens. On ne voit pas la difficulté.

Pour quelles raisons as-tu arrêté ta carrière après les Jeux Olympiques de Rio 2016, à l’âge de 23 ans ? As-tu un moment songé à prolonger jusqu’aux Jeux de Tokyo 2020 ?

Je n’ai jamais songé à prolonger jusqu’aux Jeux de Tokyo. J’étais fatiguée du système et du rythme de vie que j’avais mentalement avec l’INSEP et l’internat. Mon copain était à l’époque sur Nîmes et la distance pesait aussi un peu. Mais ce qui m’a surtout fait prendre la décision, c’était notre condition de nageuse de synchro. On n’est pas rémunérée alors qu’on passe entre 35 et 40 heures dans l’eau par semaine. Je ne pouvais pas demander à mes parents de payer l’internat toute ma vie. Et sans prétention, je ne voyais pas ce que je pouvais faire de plus. J’avais déjà fait trois Championnats du monde, en solo, en duo et en équipe, et j’y ai obtenu des résultats dont je suis fière. A quoi bon continuer un an de plus avec cette fatigue mentale pour faire une septième place au lieu d’une huitième place ? J’ai quand même douté pendant toute la saison 2016 sur le fait de continuer en 2017. J’ai pris la décision un jour en me levant et je ne suis jamais retournée dessus !

Que deviens-tu depuis l’arrêt de ta carrière ?

J’ai arrêté ma carrière en 2016. Pendant deux ans, j’ai entraîné dans un club à Marseille des groupes de tout âge, que ce soient des poussines ou des Masters. Je n’étais pas dans un statut très stable car j’étais auto-entrepreneur. C’était un moment de ma vie où j’avais envie de plus de stabilité et de sécurité. J’ai eu l’opportunité de travailler un été pour Décathlon. Je me suis vraiment retrouvée dans les valeurs de l’entreprise. J’ai souhaité rester et j’ai réussi à y faire ma place. Aujourd’hui, je suis responsable du rayon natation au magasin des Terrasses du Port à Marseille. Ça se passe très bien. C’est une boîte très valorisante quand on veut progresser. J’apprécie cet aspect car je n’ai pas de diplôme dans le commerce. J’ai seulement un diplôme pour être rémunérée en tant qu’entraîneur. Je trouve que permettre d’apprendre sur le terrain est une bonne philosophie !

La natation synchronisée a été popularisée par le film le Grand Bain, sorti en 2018. As-tu senti un intérêt plus important pour la pratique après ce film ?

J’ai entraîné dans un club entre 2016 et 2018, soit avant la sortie du film, donc je ne connais pas les impacts sur les licences. Par contre, c’est sûr que la pratique masculine s’est développée. Beaucoup plus de garçons osent s’inscrire dans les clubs et s’affirment. Je pense que le Grand Bain a aidé et a apporté un peu de lumière à des gens qui ne connaissaient pas la discipline.

Merci beaucoup Margaux pour ta gentillesse et ta disponibilité !

La carrière de Margaux Chrétien en quelques lignes :

Margaux Chrétien participe à ses premiers Championnats du monde en 2011, terminant 8e du ballet avec la France. Elle est 10e du duo et 7e du ballet des Championnats du monde 2013. Aux Championnats du monde 2015, elle se classe 8e à la fois en solo, en duo et en ballet.

Elle décroche sa qualification pour les Jeux Olympiques de Rio 2016. En duo avec Laura Augé, elle obtient la 8e place. Cette même année, elle termine 4e des Championnats d’Europe en duo et en ballet technique.

Elle met un terme à sa carrière en 2016. Elle est ensuite entraîneur pendant deux ans. Aujourd’hui âgée de 27 ans, Margaux Chrétien travaille chez Décathlon.

drapeau olympique Participation aux Jeux Olympiques de Rio 2016

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