Interview de SĂ©bastien Amiez
(ski alpin)

SĂ©bastien Amiez a remportĂ© la mĂ©daille d’argent du slalom des Jeux Olympiques de Salt Lake City 2002 après une incroyable remontĂ©e dans la deuxième manche. Vingt ans après, il revient pour nous sur cet exploit.

SĂ©bastien, vous avez remportĂ© la mĂ©daille d’argent du slalom des Jeux Olympiques de Salt Lake City il y a 20 ans. Dans quel Ă©tat d’esprit ĂŞtes-vous arrivĂ© Ă  ces Jeux Olympiques ?

Je montais en puissance dans la saison. Je n’avais pas réalisé de podium mais j’avais gagné des deuxièmes manches, ce qui m’avait montré que le ski était là. Quand tu es dans le top 15 mondial, tu peux jouer la gagne aussi bien que quelqu’un qui a enchaîné les podiums en début de saison.

J’avais gagnĂ© une Ă©preuve de Coupe du monde en 1996 et la mĂ©daille d’argent des Championnats du monde en 1997. J’avais participĂ© Ă  mes premiers Jeux Olympiques en 1994 Ă  Lillehammer et j’étais alors un petit jeune. J’étais un des favoris Ă  Nagano en 1998 et j’étais passĂ© Ă  travers. Quand je suis arrivĂ© Ă  mes troisièmes Jeux, je me suis dit que c’étaient peut-ĂŞtre les derniers. Faire trois Jeux dans sa carrière, c’est dĂ©jĂ  bien ! Et sur un grand Ă©vĂ©nement, on n’est pas lĂ  pour faire de la figuration !

Pouvez-vous nous raconter comment vous avez vécu cette course Olympique de l’intérieur ?

La première manche a Ă©tĂ© très compliquĂ©e. Le classement de la première manche correspondait souvent Ă  l’ordre de dĂ©part et donc au numĂ©ro de dossard : le quatrième Ă  s’élancer se classait quatrième, et cela s’empilait avec le cinquième, le sixième etc. J’avais le dossard 11 et j’ai pris la septième place provisoire quand je suis arrivĂ© en bas. Je n’ai pas rĂ©alisĂ© une grosse manche et je comptais 2’’10 de retard. J’ai commencĂ© Ă  beaucoup cogiter car il y avait encore Ă  l’époque la règle des quinze inversĂ©s sur les grands Ă©vĂ©nements (pour la deuxième manche, l’ordre de dĂ©part Ă©tait le suivant : le quinzième de la première manche, puis le quatorzième, le treizième, etc., jusqu’au premier de la première manche, puis le seizième de la première manche, le dix-septième etc., ndlr). Or, j’avais connu le fait d’être seizième de la première manche lors des JO de Nagano. Beaucoup de choses sont revenues dans ma tĂŞte et je me suis dit que j’allais peut-ĂŞtre repartir seizième ou dix-septième et que la course Ă  la mĂ©daille serait beaucoup plus compliquĂ©e. Finalement, seulement deux concurrents m’ont doublĂ©. J’ai alors eu un dĂ©clic : c’était peut-ĂŞtre dur pour moi, mais c’était dur pour tout le monde et il y avait une deuxième manche Ă  jouer ! Je n’ai jamais rien lâchĂ©.

Je suis resté un moment à regarder la course. J’ai pas mal discuté avec mon technicien et je lui ai demandé d’aller chercher une paire de skis neufs. On l’a essayée en ski libre à côté de la piste et j’ai décidé de concourir avec. J’ai effectué la reconnaissance. Le traceur avait tracé un parcours qui me convenait bien, avec beaucoup de rythme.

Lors de la deuxième manche, j’ai tout donnĂ© dès le dĂ©part. Je suis parti le couteau entre les dents pour essayer de faire un run sans regret. J’ai mis la barre haute et les autres skieurs sont quasiment tous venus Ă©chouer sur mon temps. Tous, sauf Jean-Pierre Vidal, qui avait beaucoup d’avance et a rĂ©alisĂ© une course extraordinaire ce jour-lĂ  ! Pour moi, le plus grand bonheur est de ne pas avoir de regret sur cette journĂ©e, d’avoir jouĂ© et de m’être servi de mes expĂ©riences passĂ©es pour faire LA manche d’une Olympiade. Ça m’a amenĂ© Ă  cette belle mĂ©daille d’argent !

« La difficulté du slalom, c’est qu’on peut être le meilleur du monde sur les skis mais enfourcher la première porte »

Après que vous ayez franchi la ligne d’arrivĂ©e, vos adversaires ont Ă©chouĂ© un Ă  un, jusqu’à ce que le dernier concurrent Jean-Pierre Vidal  vous passe devant pour un doublĂ© français. Racontez-nous un peu cette attente ?

Quand je suis arrivé en bas, j’ai vu que j’avais 63 centièmes d’avance sur Kilian Albrecht, qui était aussi un sérieux client. Ca montrait déjà que j’avais réalisé une belle manche. J’avais beaucoup de retard sur les trois premiers de la première manche, mais il y avait 5/6 dixièmes d’écart avec le quatrième. Je me suis dit que mon temps pouvait me permettre de remonter à la septième ou à la huitième place. Le bonheur était déjà d’avoir fait cette manche au bon moment et d’être dans les huit premiers, même si ce n’est pas ce que j’étais venu chercher. La piste était bien abîmée et je me suis dit que mon boulot était fait et que maintenant, c’était à eux de le faire dans des conditions difficiles. En effet, la difficulté du slalom, c’est qu’on peut être le meilleur du monde sur les skis mais enfourcher la première porte ou tomber à n’importe quel moment.

Le temps d’attente est long. Tu es huitième. Tu es septième. Tu es sixième. Tu es cinquième. Tu te dis alors que l’histoire ne peut pas s’arrêter là. Après, une fois que je suis sur le podium, c’est la délivrance et le bonheur d’avoir une médaille Olympique. Avant le départ de Jean-Pierre, je me suis dit que tout pouvait arriver et que je pouvais être champion Olympique. Il a fait la course parfaite ce jour-là et on a réalisé le doublé. Le bonheur, c’est aussi d’avoir vécu un moment et d’avoir partagé cette victoire et ce podium ensemble. La médiatisation de cet événement a été faite sur un doublé Olympique.

Cette mĂ©daille est venue après une pĂ©riode difficile liĂ©e notamment Ă  des problèmes de dos. Avec le recul, comment avez-vous rĂ©ussi psychologiquement Ă  passer cette pĂ©riode compliquĂ©e pour rĂ©ussir cet exploit Olympique ?

C’était en effet une pĂ©riode difficile. MĂŞme en 1996 et en 1997, quand ça me souriait et que je gagnais, j’avais des problèmes de dos. A l’automne 1997, je me suis fait une petite entorse au genou, qui m’a Ă©loignĂ© de l’entraĂ®nement plusieurs semaines et m’a fait perdre beaucoup de points de repères. Sur l’annĂ©e 2000, il y a eu un changement de matĂ©riel avec le passage aux skis courts, qui n’étaient pas favorables Ă  ma technique. Il fallait s’adapter et trouver les bons rĂ©glages et le bon modèle. Entre le mal de dos et le changement de matĂ©riel, ce n’était pas facile pour moi ! Mais ma force Ă©tait de ne jamais rien lâcher.

Parfois, le matin, je tournais autour de la table du petit dĂ©jeuner avant de m’assoir Ă  cause de la douleur. Il m’arrivait de ne mĂŞme pas m’assoir ! Les coaches me demandaient : « mais tu vas t’entraĂ®ner ce matin ? Â». Oui, j’allais le faire quand je serais chaud. En course, c’était la mĂŞme chose. Cela m’a demandĂ© beaucoup d’énergie.

La veille des Jeux, je ne faisais pas le malin. Le matin du ski libre sur la  piste de course, je sentais que mon dos Ă©tait bien tendu, Ă  la limite de se bloquer. J’ai fait ce qu’il fallait l’après-midi pour remettre tout ça en place. Une fois que j’ai mis le dossard, j’ai rĂ©ussi Ă  passer au-dessus de la douleur. Quand tu ne lâches rien, Ă  un moment ou Ă  un autre, ça paie toujours. J’ai eu la chance que ça paie aux Jeux ! Quand je suis montĂ© sur le podium Olympique, j’avais la fiertĂ© de ne jamais avoir lâchĂ©.

Comment avez-vous vĂ©cu la pĂ©riode d’après-mĂ©daille Olympique ?

Après la mĂ©daille, rien n’était dur ! Il ne restait qu’une course après les Jeux et j’ai assez bien skiĂ©, terminant cinquième. Je suis ensuite reparti sur une saison normale. J’ai gĂ©rĂ© les sollicitations. J’étais encore dans un meilleur Ă©tat d’esprit.

Malheureusement, les saisons 2003 et 2004 n’ont pas Ă©tĂ© comme je les espĂ©rais. Mon dos me faisait souffrir au quotidien. J’avais du mal Ă  m’entraĂ®ner correctement et ça laissait des traces ! Et puis, l’âge avançait ! A un moment, la machine s’est dĂ©règlĂ©e : j’ai effectuĂ© de bonnes courses, mais pas Ă  la hauteur de mes espĂ©rances !

« Les JO de Nagano étaient une déception car j’étais prêt »

Vous avez aussi disputĂ© les Jeux Olympiques de Lillehammer 1994 (abandon) et de Nagano 1998 (quatorzième place). Quels souvenirs en gardez-vous ?

J’ai de beaux souvenirs sur les JO ! J’étais ouvreur en 1992 Ă  Albertville. J’ai ouvert le slalom du combinĂ©, le gĂ©ant et le slalom. Cela m’a beaucoup aidĂ© pour la suite.

Je me suis qualifiĂ© pour les JO de 1994 lors un slalom Ă  Chamonix. La veille de la course, le discours du coach Ă©tait simple : il n’y aurait que deux slalomeurs Ă  Lillehammer et un Ă©tait dĂ©jĂ  qualifiĂ©. Il fallait donc faire une grosse performance, ce que j’ai rĂ©ussi en terminant sixième et en gagnant la deuxième manche. Lors des JO de Lillehammer, j’ai jouĂ©. J’ai fait un dĂ©but de manche correct sur de la glace. Il y avait ensuite un changement de neige et j’ai eu beaucoup de difficultĂ©s Ă  mener les skis. D’autres grands champions comme Alberto Tomba ont eu le mĂŞme problème. Lors de la deuxième manche, j’ai fait le choix de dĂ©saffuter au maximum les skis, mais le challenge Ă©tait de devoir passer les quatre-cinq premières portes qui Ă©taient sur de la glace. Malheureusement, la troisième porte ne m’a pas fait de cadeau, tout comme elle n’a pas fait de cadeau Ă  trois autres prĂ©tendants Ă  la mĂ©daille. C’était un choix tactique qui n’a pas payĂ© mais cela m’a aidĂ© pour la suite de ma carrière. J’y ai appris des choses sur les grands Ă©vĂ©nements.

Les JO de Nagano étaient une déception car j’étais prêt. Les conditions de la première manche étaient difficiles avec notamment beaucoup de brouillard et j’ai moyennement skié. Je me suis retrouvé seizième de la première manche. Comme je le disais précédemment, il y a eu la règle des quinze inversés et je suis donc parti seizième le la deuxième manche. J’ai quand même réalisé le quatrième temps de celle-ci. Le ski était donc là. Mais je reste frustré de cette quatorzième place car ce n’était pas la valeur de mon ski.

En 1996, vous avez remportĂ© Ă  l’âge de 23 ans le globe de cristal du slalom en battant notamment Alberto Tomba. Gagner le globe de cristal Ă©tait-il alors un objectif clair en dĂ©but de saison ?

Pas du tout. Le but était de monter sur des podiums. Je sortais de saisons régulières et je n’étais pas sorti de piste depuis le slalom des Jeux Olympiques de 1994. J’ai terminé deuxième de la première course de la saison. Lors de la deuxième course, j’ai eu le meilleur temps de la première manche et j’ai terminé quatrième. Je me suis alors retrouvé avec le dossard rouge de leader de la Coupe du monde et l’objectif a été de le garder. On s’est rendu coup pour coup avec Alberto Tomba, qui l’a récupéré en milieu de saison.

Lors des Championnats du monde cette annĂ©e-lĂ , j’ai fait une grosse faute lors de la deuxième manche qui m’a relĂ©guĂ© Ă  la sixième place, alors que j’étais en tĂŞte au temps intermĂ©diaire. Après ces Championnats du monde, il ne restait qu’une course. J’avais le dossard rouge et je me suis dit que je ne pouvais pas avoir Ă©chouĂ© aux Championnats du monde et ensuite terminer deuxième de la Coupe du monde. Je pouvais Ă©crire l’histoire du slalom français. J’ai gagnĂ© la première manche et je m’élançais donc en dernier sur la dernière manche de la saison ! Et j’ai gagnĂ© le globe de cristal ! La rĂ©gularitĂ© a payĂ©.

Vous avez annoncĂ© la fin de votre carrière en 2007, Ă  l’âge de 34 ans. Quelles ont Ă©tĂ© les principales Ă©tapes de votre reconversion et que faites-vous aujourd’hui ?

Après treize saisons en Coupe du monde, j’ai en effet mis un terme Ă  ma carrière en 2007. J’ai ensuite travaillĂ© jusqu’en 2016 pour le groupe Lagrange Immobilier. Il s’agissait dĂ©jĂ  d’un partenaire durant ma carrière. J’y avais un rĂ´le d’Ambassadeur et de consultant. J’ai commencĂ© Ă  faire de la tĂ©lĂ© avec Sport+ pendant les deux premières saisons qui ont suivi mon arrĂŞt. En 2009, RMC avait besoin d’un consultant pour les Championnats du monde de Val d’Isère et je les ai rejoints. Je suis toujours en partenariat. Je suis aussi Ambassadeur depuis 2017 pour le groupe TerrĂ©sens Immobilier, qui fait de l’immobilier de loisir. Enfin, je fais de l’immobilier sur Pralognan en indĂ©pendant, j’y suis  commerçant et je suis moniteur de ski.

Merci beaucoup SĂ©bastien pour cette interview et bonne continuation !

La carrière de Sébastien Amiez en quelques lignes :

Spécialiste du slalom, Sébastien Amiez devient vice-champion du monde Junior en 1991. Il participe aux Jeux Olympiques de Lillehammer 1994 mais il sort de la piste. Il monte sur son premier podium de Coupe du monde en 1995. En 1996, il remporte le globe du classement général de la Coupe du monde de slalom. Cette année-là, il gagne également la Coupe du monde de Veysonnaz et termine 6e des Championnats du monde.

En 1997, il devient vice-champion du monde et signe quatre podiums de Coupe du monde. Lors des Jeux Olympiques de Nagano 1998, il se classe 14e. Il est ensuite pénalisé par des problèmes de dos mais signe un podium en 2001 lors des finales de Coupe du monde.

Lors des Jeux Olympiques de Salt Lake City 2002, il remporte la médaille d’argent du slalom. Il annonce la fin de sa carrière en 2007, à l’âge de 34 ans. Aujourd’hui, Sébastien Amiez est notamment consultant sur RMC et Ambassadeur du groupe Terrésens.

drapeau olympique Participations aux Jeux Olympiques de Lillehammer 1994, Nagano 1998 et Salt Lake City 2002

medaille Médaillé d’argent aux Jeux Olympiques de Salt Lake City 2002 (slalom hommes)

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